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le bois et la feuille sentaient la rose, comme la fleur elle-même qui était fort belle. » Et cela me plait que, vieil homme, il ait maintenu dans sa rédaction de Charmes, ce trait naïf qu’il trouvait dans son carnet de Friedland. un trait de l’éternel désir de paraître d’un jeune Français : « Nos bonnets à poil étaient devenus laids et hideux. On nous les remplaça. J’eus la satisfaction de tomber sur un oursin qui était aussi beau que ceux des officiers ! » Et il n’a pas que la sensibilité de l’imagination, mais la plus profonde, la plus noble, celle du cœur. A Lutzen il écrit : « Nos jeunes conscrits se conduisirent très bien. Pas un ne quitta les rangs et il y en eut qu’on avait laissés derrière parce qu’ils étaient malades, qui arrivèrent pour prendre leurs places. Un de nos clairons, enfant de seize ans, fut de ce nombre. Il eut une cuisse emportée par un boulet et expira derrière la compagnie. Ces pauvres enfants, quand ils étaient blessés, à ne pouvoir marcher, venaient me demander à quitter la compagnie pour aller se faire panser. C’était une abnégation de la vie, une soumission à leur supérieur, qui affligeait plus qu’elle n’étonnait. »


Je m’arrête. Il ne s’agit pas que j’analyse cet Itinéraire, puisqu’on va en lire les parties essentielles. C’est le Mémorial de toute une existence : forcé d’en rayer une multitude de journées, j’en laisse assez pour que le lecteur accompagne J. -B. Barrès dans ses principales étapes. On verra le joyeux départ du jeune homme quand il s’éloigne de la maison paternelle, à l’âge des plus vives curiosités ; on s’intéressera aux visions nombreuses qu’un chasseur de la Garde impériale eut nécessairement du Grand Homme dont il lui fut donné en outre de recevoir à plusieurs reprises la parole directe ; on l’entendra raconter ses batailles et ses fatigues ; on connaîtra son profond sentiment du devoir et de l’honneur, un sentiment dont l’expression n’a jamais rien de lyrique ni de théâtral, mais si clair et si vrai ! En 1815, on le verra en demi-solde. La morgue des émigrés à leur retour et les offenses que certains d’entre eux avaient la folie de prodiguer à des hommes dont la noblesse et la vertu venaient de conquérir des titres aussi beaux que ceux ides croisades, mon grand père les décrit, dans une multitude de petits traits qu’il n’était pas dans le programme de Balzac de recueillir, mais dignes de ce grand historien des mœurs, et qui