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équipe de politiciens, avec M. Triantaphylakos comme président, pour prendre le pouvoir et lui sauver la mise. M. Venizélos n’est même pas chargé, comme l’avaient demandé plusieurs journaux, de la défense des intérêts helléniques au dehors : la rancune du Roi survit à sa fortune. La situation est ainsi plus nette ; la France ne sera pas tentée d’être condescendante à l’assassin de nos marins. N’est-ce pas d’ailleurs M. Venizélos qui, le premier, a vu trop grand, et qui, jouant un coup de partie, a mis la force et l’avenir de son pays au service de la politique britannique ? Le peuple grec, industrieux et brave, reste en proie aux mauvais bergers ; on ne peut que le plaindre, lui et son armée, sans regretter la dure leçon que la fortune inflige à ses dirigeants.

L’échec décisif de la « grande idée » hellénique est un fait important dans l’histoire du proche Orient. Mais l’Empire britannique avait lié ses desseins d’expansion impériale et d’hégémonie orientale au succès de la politique grecque. Entente militaire, politique, religieuse : c’est par une étroite association avec l’hellénisme que l’Angleterre se flattait de dominer à Constantinople. Faisons un effort pour comprendre une politique qui a de quoi nous surprendre et dont il était facile de prévoir la faillite ; plaçons-nous, non pas à Londres, mais aux Indes, centre de l’Empire mondial de l’Angleterre. Les Détroits de Constantinople, comme le canal de Suez, comme le chemin de fer de Bagdad, ce sont les avenues de l’Inde. A Constantinople se croisent la route maritime qui mène à Odessa, vers les blés, à Baloum, vers les pétroles, et qui se continue par les routes terrestres de Transcaucasie et de Perse, et la route de terre : Europe, Bagdad, Indes. Le Bosphore et les Dardanelles deviennent, dans la bouche de M. Lloyd George, « la voie navigable essentielle à la civilisation » (déclaration du 23 septembre). Pour tenir en équilibre, aux Indes, trois cents millions d’hommes, dont cent millions de musulmans, il faut, pensait-on dans les bureaux du Colonial Office, contrôler l’Islam asiatique et le Khalifat. Pendant la première partie de la guerre, les Anglais s’étaient résignés à une solution russe de la question des Détroits : c’est le sens des conventions de 1916. La Russie l’exigeait ; c’était son but de guerre national. Mais lorsque l’Empire des Tsars s’abîma dans le bolchévisme, il parut à tous les Anglais nourris dans les grandes traditions diplomatiques, que la Providence assignait les Détroits et Constantinople à l’Empire britannique. 1917 et 1918 virent les grands efforts militaires, fournis presque exclusivement par l’Empire britannique, en Mésopotamie et en Palestine ; la Turquie