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vassale ; c’est pourquoi l’armistice néglige de la désarmer et pour quoi on ne se servit même pas des droits que comportait l’armistice. A l’explosion inattendue du mouvement nationaliste répondit l’expédient d’une collaboration avec la Grèce. Le fantassin hellénique devint le soldat asiatique de l’Angleterre. Du moment où les Anglais essayaient de réaliser à leur profit exclusif, à l’encontre de nos intérêts comme de ceux de l’Italie, avec l’aide de la seule Grèce, la première des deux solutions, nous ne pouvions que nous rallier à la seconde ; elle avait l’avantage d’être dans la tradition de la politique française ; nous y trouvions le moyen de mettre fin à la campagne pénible, coûteuse et sans objet que soutenaient nos troupes en Cilicie (accords d’Angora) ; elle faisait, aux droits du peuple turc, une plus juste part : elle tendait enfin à séparer le nationalisme turc d’Angora du nationalisme russe bolchéviste et, en ramenant les Turcs sur le Bosphore, à prévenir le péril d’une offensive de l’Asie.

Le Gouvernement de Londres, malgré certains conseils expérimentés, s’obstina dans sa politique et persista à compter sur l’armée hellénique (discours de M. Lloyd George du 4 août). La catastrophe était prévue partout, même en Grèce. Les nationalistes d’Angora faisaient des invites à l’Angleterre : « Si Lloyd George, écrivait Hamed Djevded bey dans l’Ikdam du 15 juin, a vraiment des sentiments pacifiques, il doit réaliser la paix avant qu’il puisse arriver une catastrophe. » Les Grecs eux-mêmes considéraient l’entreprise d’Anatolie comme perdue et ne songeaient qu’à sauver la Thrace. Leur dernier effort fut la récente tentative sur Constantinople. Qui l’a suggérée au gouvernement d’Athènes ? La politique anglaise a si bien manœuvré qu’elle a fait, du désastre grec, un échec britannique. L’opinion anglaise qui, au premier moment, a réagi comme si on lui arrachait le prix de la victoire des armées britanniques, comprend maintenant qu’elle recueille les fruits d’une politique surannée, imprévoyante et antifrançaise.

Le désastre de l’armée hellénique, par sa soudaineté, par sa plénitude, jeta le Gouvernement britannique dans le désarroi ; pas plus que l’armée grecque la diplomatie anglaise ne réussit à s’établir à temps sur des positions de repli. Le 9 septembre, le Cabinet de Rome prit l’initiative d’une note invitant les Puissances à réunir le plus tôt possible leurs plénipotentiaires à la Conférence, depuis longtemps prévue, de Venise. La presse anglaise, dans ces mêmes journées, tandis que les soldats de Kemal entraient à Smyrne, s’efforçait de démontrer à la France qu’elle ne pouvait souhaiter le retour des Turcs à Constantinople.