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britannique à Constantinople et dans les Détroits. Le 14, Paris répond à la note de Londres du 12 ; il se déclare partisan du maintien de la zone neutre, mais sans préjuger les conditions de paix. L’Angleterre, à cette date, n’admet pas encore qu’il puisse être question d’autre chose que de l’Anatolie. Tout, dans ces jours tragiques, s’est passé comme si le Gouvernement et une partie de la presse anglaise cherchaient à provoquer un conflit et à y entraîner les Alliés, tout au moins à arrêter l’armée kémaliste par la menace effective d’un conflit. « La situation est aussi grave qu’en 1914, » déclarait au Daily News le lieutenant de vaisseau Kenworthy M. P. qui, volontiers, force la note.

Mais, le 15, les journaux, et le Gouvernement avant eux, sont édifiés sur les conditions auxquelles les Turcs vainqueurs pourraient consentir à un armistice : souveraineté turque intégrale sur Constantinoplc, et sur la Thrace y compris Andrinople, réparation des dégâts commis par les armées grecques, etc. De tous les pays d’Islam des renseignements arrivent : les victoires de Mustapha Kemal sont accueillies avec enthousiasme ; parmi les musulmans des Indes la satisfaction est générale et l’effervescence inquiétante. Le 15, un important Conseil des Ministres se réunit sous la présidence de M. Lloyd George. Il en sort la fameuse « note officieuse Reuter » datée du 16, qui, loin de montrer une Angleterre pacifique et modérée, révèle la persistance d’illusions dangereuses et l’imminence de résolutions téméraires. Cette note paraît émaner de l’entourage immédiat du Premier ministre et avoir été publiée sans l’assentiment du Foreign Office. « Les exigences (des Turcs), si elles sont approuvées, dit-elle, n’impliquent rien de moins que la perte entière de tous les résultats de la victoire remportée sur la Turquie pendant la dernière guerre... Le Gouvernement britannique considère la liberté effective et permanente des Détroits comme une nécessité vitale. » Une conférence devra se réunir prochainement pour assurer une paix stable avec la Turquie. On pourra laisser, à certaines conditions, Constantinople à la Turquie. Mais voici la menace qui donne à la note son vrai caractère. « Il serait futile et dangereux, vu l’état d’excitation et les demandes exorbitantes des Kémalistes, de s’en tenir uniquement à une action diplomatique. » Il faut donc envoyer des forces suffisantes pour défendre la zone neutre, les Détroits, et empêcher les Turcs d’Angora d’entrer en vainqueurs à Constantinople. La réapparition de la Turquie sur la rive européenne a créerait une situation d’un caractère des plus