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élevé, et fuyait jusqu’aux apparences de la réclame et du charlatanisme. Il se tenait à l’écart des affaires publiques et, quoique sénateur et membre de la Commission des antiquités de Sicile, il n’a jamais voulu se mêler aux disputes des partis. Après avoir lu toute son œuvre, on est embarrassé de dire quelle pouvait être sa nuance politique. Il ne s’est associé à aucun des courants les plus vigoureux qui ont traversé, depuis l’époque du Risorgimento, la pensée italienne ; il lui manque la corde citoyenne qui fait la gloire de Carducci et, même avant la guerre, avait tant contribué à la fortune de d’Annunzio. Il s’est enfermé strictement dans son œuvre d’artiste, sans même prendre part aux discussions d’écoles qui ont agité la jeunesse depuis une trentaine d’années. Peu d’écrivains ont pratiqué aussi rigoureusement la discipline hautaine de l’art impersonnel.

De pareilles ambitions peuvent produire des chefs-d’œuvre, mais ce n’est pas ainsi qu’on touche le cœur des foules. Les foules aiment l’auteur qui prouve quelque chose, ou qui du moins se passionne pour une cause ou pour une idée ; elles aiment qu’on s’émeuve, qu’on mette du sien dans ce qu’on écrit. Ce n’est pas le moyen de se les attacher, que de rester étranger à ce qui les intéresse. Sur presque tous les sujets, Verga, on le devine, pensait autrement que son public, et ne partageait pas les illusions dont ce public ne saurait se passer. Il croyait peu à la science et ne croyait pas au progrès. Son œuvre capitale, restée inachevée, la grande épopée des Vaincus, est, le titre l’annonce, une œuvre désabusée. Verga est un écrivain triste. Les écrivains de cette espèce peuvent être de très grands artistes, ils ne sont jamais populaires. Par certains côtés de son esprit, ce maître supérieur fait penser à Flaubert. Comme lui, il est toujours demeuré un solitaire. M. Pirandello dit : « une ile. »

C’était un grand homme sec, au visage en lame de couteau, aux cheveux ras, longtemps grisonnants, la moustache taillée en brosse, l’air d’un colonel de cavalerie en retraite. Sa courtoisie était exquise. L’été venu, il voyageait ; on le voyait à Milan, où on le, rencontrait chez Cova, dans un petit cercle d’amis, Giacosa, Boito, de Robcrlo, l’éditeur Trêves, ceux que, vers d 900, on appelait la « vieille garde. » Il passait l’hiver à Catane, près de son inséparable Luigi Capuana, l’auteur du roman de Giacinta, avec qui il formait le plus plaisant contraste :