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richesses l’une sur l’autre accumulées ; ensemble qu’il est impossible de changer sans doute, puisqu’il représente l’héritage du passé, mais qui ne répond plus à notre temps, qui date d’une époque où l’on croyait qu’il n’y avait aucune puissance qui ne s’accompagnât de splendeur, et où le faste était la mesure du pouvoir : non, ce n’est pas cela qui fait la majesté de ces lieux.

Ce qui fait la grandeur du Vatican, c’est encore moins la minuscule armée qui monte ici la garde. Dès l’entrée, les Suisses au justaucorps bariolé, appuyés sur leur hallebarde, ne laissent pas de faire sourire. Il est vrai que leur costume a été dessiné par Michel-Ange ; cela ne les sauve pas du ridicule, ces soldats habillés comme on voit au théâtre les archers de Guillaume Tell, et qui ne sont en effet que des figurants. Des soldats, nous savons ce que c’est, maintenant. Qui de nous, à quelque pays qu’il appartienne, ne les a vus quand ils revenaient du front, déguenillés, boueux, grandioses sous leur uniforme terni, et atteignant dans leur simplicité la beauté suprême ? Des soldats, ce ne sont pas des concierges, des huissiers, ou des domestiques. A quoi servent ceux-ci, désormais ? Qui songe à les attaquer ? Et si on les attaquait, quelle résistance opposeraient-ils ? Tout au plus faut-il des gardes pour assurer la police des palais ; mais non pas de prétendus soldats ; car il semble qu’on ne doive plus jouer au soldat, après cette guerre. Et voici, à mesure qu’on continue sa route à travers les demeures du Prince de la paix, des gendarmes tout chargés de buffleteries, où pendent leurs cartouchières vides ; des soldats qui ressemblent vaguement aux mobiles de 1870, avec leur tunique, leurs parements lie de vin, et leurs petits képis ; et des officiers de cavalerie à la taille cambrée, reluisants, haut casqués, avec des cimiers, des plumets, des aigrettes, qui évoquent l’idée du casque homérique d’Hector ; ils font claquer leurs talons en saluant, à l’allemande. Que sais-je encore ? Toute une variété d’uniformes, de cuirasses, de bottes, de galons, de décorations ; musée rétrospectif sorti des armoires, souvenir des temps héroïques où il importait d’effrayer l’ennemi par son seul aspect : vain appareil, qu’il ne faut pas prendre au tragique sans doute, qu’il faut expliquer par la persistance de la tradition, mais qui choque aujourd’hui. Car à supposer que ces soldats de parade veuillent représenter la force, ce n’est pas la force de ce monde qu’on attendrait ici. Quel pontife fera le geste qui débarrassera ses antichambres de ces guerriers ?