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palais et ses temples, d’admirables copies des plus illustres modèles de la statuaire grecque. Elle initiait ainsi à la grande civilisation de la Méditerranée une race à l’esprit agile et à l’imagination sensible pour qui la leçon ne fut point perdue. En effet, l’acclimatation se fit très vite, sans résistance. Bientôt apparurent dans la sculpture des tombeaux une certaine familiarité, un amour du réel qui déjà différaient de la beauté classique. Reprenant une remarque de Choisy, M. Louis Gillet écrit avec une justesse d’expression que goûteront tous ceux qui ont bien regardé certaines œuvres de la période gallo-romaine : « Il est très difficile de mesurer exactement la part propre des Gaulois dans les œuvres de l’époque romaine qui recouvrent notre sol. Que l’on prenne pourtant les plus beaux, les plus précieux de tous : le temple incomparable de la Maison Carrée de Nîmes, le charmant tombeau des Jules, dit le mausolée de Saint-Remy. Il y a dans ces chefs-d’œuvre quelque chose qui n’est ni de Rome, ni de la Grèce. Les proportions, l’emploi des colonnes, le décor de l’architrave n’ont plus rien qui rappelle l’antique, et sont d’un goût exquis que n’a jamais eu Rome. Les éléments classiques sont mis en usage avec une liberté, un génie délicat qui font songer plutôt aux œuvres d’un Philibert Delorme qu’à celles d’un Vitruve. On dirait des petits monuments de la Renaissance... En trois siècles, la Gaule avait fait son éducation. Dans ces œuvres gallo-romaines, comme dans certains vers d’Ausone, on trouve peu de traits du Romain : on y sent déjà le Français. »

Viennent les Barbares, ils n’anéantiront pas les germes déposés en Gaule par la civilisation antique. Au siècle dernier, une école historique a prétendu qu’en se ruant sur l’Occident, ces tribus sauvages avaient interrompu la tradition latine, qu’elles avaient infusé un sang nouveau dans les veines du vieux monde, que la poésie et l’art du Moyen-âge avaient été la revanche d’Arioviste sur César ; elle a célébré le bienfait des invasions et divinisé l’instinct de ces brutes déchaînées à travers l’Europe. De cette théorie, dont Courajod fut le passionné défenseur, il ne reste plus rien. Fustel de Coulanges avait déjà montré que les Barbares n’ont modifié ni le caractère originel ni les mœurs héréditaires des peuples auxquels ils se sont mêlés. M. Bédier et M. Mâle ont achevé la preuve en établissant que les poèmes et les monuments des XIIe et XIIIe siècles ne doivent