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Les Turcs sont avertis. Ils ont gagné, par la modération dont ils ont fait preuve dans la victoire, la possession de la Thrace ; mais tout danger n’a pas disparu pour leur pays, — le langage du colonel Repington suffirait à le prouver, — l’écueil, pour eux, serait une politique d’intransigeance et de nationalisme outrancier. Quand nous voyons certains d’entre eux demander, au service de la Dette et aux banques de Constantinople, l’expulsion de leurs employés grecs ou arméniens, préparer la nationalisation des chemins de fer, annoncer l’intention de confisquer les biens des chrétiens qui ont quitté Smyrne ; quand nous apprenons qu’à Smyrne les autorités ont prétendu empêcher le Consulat de France d’arborer son drapeau, que des cimetières chrétiens, et en particulier le cimetière latin, ont été profanés, nous ne pouvons nous empêcher de regarder l’avenir avec inquiétude. Le projet de constituer et l’espoir de faire prospérer un Empire ottoman réduit à ses seuls sujets de race turque est une utopie dangereuse ; vouloir expulser tous les chrétiens comme n’étant pas des Ottomans, et en même temps fusiller comme Ottomans traîtres à leur patrie ceux d’entre eux qui ont été faits prisonniers dans les rangs grecs, ce n’est pas seulement odieux, c’est absurde. L’expulsion des chrétiens serait la ruine économique irrémédiable de la Turquie. Nous regrettons aussi de lire, sous la plume du distingué représentant à Paris du Gouvernement d’Angora, l’affirmation que les massacres de 1915 ont été précédés et s’expliquent par « un soulèvement en masse des Arméniens. » Combien l’Europe tendrait plus volontiers la main à une Turquie qui viendrait lui dire : Les massacres, trop réels, ont été organisés chez nous, avec les encouragements de l’Allemagne qui nous avait entraînés dans la guerre, par quelques hommes dont Talaat fut le plus coupable ; ce passé atroce est aujourd’hui le passé ; dans la Turquie nouvelle, régénérée par sa victoire après avoir été punie par sa défaite, il n’y aura plus de distinction de races ni de religions ; ce sera l’égalité et la liberté pour tous ! Un tel régime, qui aurait sauvé la Turquie en 1908, serait encore aujourd’hui pour elle le chemin de la paix et de la prospérité. Moustapha Kemal et ses lieutenants sont dignes de le comprendre et capables de guider enfin leur pays dans cette voie qu’ont suivie toutes les nations civilisées et hors de laquelle il n’y a pas de salut.

Le jeudi soir 19 octobre, M. Lloyd George a remis à Sa Majesté George V la démission du Cabinet britannique. Ce grand événement se rattache directement aux affaires d’Orient. Un grand nombre d’unionistes