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voilà tout. Une Assemblée constituante, qui ne peut rien constituer, un chef, soi-disant parlementaire, qui gouverne sans la majorité dans le Parlement, une minorité qui a pour doctrine la souveraineté du peuple, et qui, par-dessus tout, craint un appel sincère fait par le pouvoir actuel au peuple ! Une armée qui peut tout et ne fait rien, qui déteste les rouges et les Prussiens, et justement, et ne les empêche pas d’arriver. M. Thiers amènera les rouges, ceux-ci les Prussiens, qui nous guettent, je le sais. Voilà notre avenir ! Pour le moment, l’opinion, si légère, se laisse éblouir par l’emprunt, qui est une vaste machine à faire gagner de l’argent, aux banquiers étrangers surtout, par les avantages scandaleux qu’on leur a faits ! Quel nom donner à ce gâchis ? Oh ! non, pour l’honneur de la République même, cela ne peut s’appeler de ce nom, — une République sans constitution, c’est-à-dire sans lois, avec un chef qui est et peut tout, sans liberté de la presse qu’on supprime, avec quarante départements en état de siège et que je les défie de lever, avec des hommes comme les Favre, Ferry et compagnie, non cela n’est pas la République ! Si ce Gouvernement était possible chez nous, vous savez que je l’aimerais assez ; mais pour cette forme, il faut avant et par dessus tout, de la vertu et de la modération, deux qualités qui nous font absolument défaut. Mais vous sentez ces choses beaucoup mieux que moi, mon cher monsieur Renan, vous qui avez, ce qui manque si totalement chez nous, l’élévation du cœur et de l’esprit.

En nous voyant, nous causerons du pape. Mon séjour à Rome m’a beaucoup intéressé. Je serai chez moi, à Prangins, dans quinze jours. Venez-y en octobre. Je n’ai pas reçu le volume des Mélanges de Strauss avec préface de vous. Dès mon retour, je le demanderai à Lausanne. Mille amitiés.


Prangins. ce 12 septembre 1872.

Mon cher monsieur Renan,

Votre lettre me fait grand plaisir, puisqu’elle m’annonce votre visite pour le 23, lundi. Je n’ai reçu qu’hier 11, votre lettre datée de Sèvres, le 8 ; la poste est bien inégale, ou probablement bien indiscrète. Donnez-moi quelques renseignements sur votre visite ; Mme Renan vous accompagne, j’espère ? Vous demeurerez tous les deux chez nous ? Quoique mal, nous pourrons