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étaient transformées en lieux de détention de la « Tché-Ka. » Tous les « bourjouïs, » anciens officiers, propriétaires, marchands et commerçants, étaient arrêtés et fusillés sans enquête ni jugement d’aucune sorte. C’était, en vérité, une orgie sanglante ! Quand l’armée de Denikine eut atteint Kharkov, la « Terreur rouge » ne connut plus de bornes.

Le 13/26 juin, comme je m’en revenais tranquillement à la maison du Kreshtchatick, j’aperçus, en montant la Liuteranskaïa, ma femme de chambre qui courait au-devant de moi. A voix basse elle m’avertit qu’on était venu m’arrêter. Je retournai immédiatement sur mes pas, en la priant de prévenir les miens que je commencerais par chercher refuge chez un de nos anciens employés de campagne, et que j’aviserais ensuite à la façon la plus sûre de me cacher.

La famille de l’employé en question me fit le meilleur accueil, et je m’en souviendrai toujours avec reconnaissance, car on courait grand risque, en ce temps-là à cacher quelqu’un : les autorités punissaient sévèrement tous ceux qui étaient pris en flagrant délit de recel.

Je restai, ce jour-là sans aucunes nouvelles des miens. Le lendemain matin, arriva le mari de ma femme de chambre, et à l’expression de son visage, je devinai aussitôt qu’il était porteur de mauvaises nouvelles. Et quelles nouvelles ! Je m’attendais à tout, hormis cela ! J’appris que les membres de la « Vsséukrainskaïa Tchrézvytchaïka » (Commission Extraordinaire Pan-Ukrainienne), venus pour m’arrêter, ne m’ayant point trouvée, avaient déclaré à mon fils qu’il était arrêté à ma place. Je dois mentionner ici qu’une forte éruption avait paru sur le visage et sur le corps de mon fils quelques jours auparavant, et le docteur craignait la rougeole. Malgré cela, André, un garçon de seize ans, fut emmené à la « Vé-Tché-Ka, » à la Ekaterinenskaïa, où il fut écroué.

Je sentis mes genoux fléchir et je tombai sur mon lit anéantie et silencieuse. Si j’avais pu penser un instant que mon fils, presque un enfant, pouvait être arrêté à ma place, je n’aurais jamais songé à me cacher. Mon cœur se serrait d’une souffrance inexprimable... , mais il fallait se dominer et agir. Ma première idée fut de me rendre immédiatement à la « Vé-Tché-Ka » et de me livrer aux mains des autorités, en les priant de libérer mon fils. Mais au moment même où j’allais me