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mena tout d’abord au camp « Kojukhov, » où nous fûmes détenus pendant neuf jours. Nous étions tous logés pêle-mêle, hommes et femmes, dans une énorme baraque en bois, avec deux rangs de « nary, » l’un au-dessus de l’autre. Grâce à ce système de cohabitation assez bizarre, nos mœurs devinrent, involontairement, fort primitives. Je ne donne pas de détails. Imaginez les plus repoussants, vous serez au-dessous de la vérité.

Je ne puis omettre de mentionner le commandant de ce camp, Zvéreff. C’était un officier de l’armée de Koltchak, qui avait été fait prisonnier de guerre par les bolchévistes. Ils avaient commencé par le traiter avec confiance, et l’avaient nommé commandant du camp « Kojukhov ; » mais plus tard il fut déclaré dangereux, comme « contre-révolutionnaire, » et fusillé. Lorsqu’on nous amena au camp, il s’approcha de moi, me prit à part et me dit qu’il savait qui j’étais et ferait toutes qu’il pourrait pour moi et pour mon fils, étant entièrement des nôtres et ne servant sous les bolchévistes que par contrainte. Sa bonne et cordiale attitude à notre égard me toucha profondément. Lorsque nous fûmes transférés du camp « Kojukhov » au monastère « Androniev, » on me remit secrètement un paquet de biscuits, en me disant qu’ils étaient envoyés par le commandant Zvéreff, « qui nous plaignait et pensait à nous. » Je me souviendrai toujours de cela avec reconnaissance.

Nous avions été prévenus que nous n’étions que temporairement logés au camp « Kojukhov. » Le 7/20 août, on nous envoya à notre véritable destination, le monastère « Androniev, » transformé en camp de concentration. Les bolchévistes ont leurs règles et leur ordre spéciaux, et comme ils font toujours tout au rebours des autres, nous étions toujours transférés d’un endroit à l’autre aux heures les plus importunes. Le monastère « Androniev » est situé à une distance d’à peu près 8 verstes du camp « Kojukhov. » Il était tard dans la nuit lorsque nous entrâmes par la grande porte dans la cour du monastère. Nous étions recrus de fatigue, après notre longue marche, mais il fallut passer par toutes les formalités d’usage : appel et enregistrement des prisonniers, etc. On assigna aux femmes une maison à part, anciennement l’habitation de l’archevêque. Il n’y avait ni électricité, ni lampes, ni bougies. On nous introduisit dans une maison complètement sombre, nous disant qu’il y avait là trois grandes chambres dont nous pouvions disposer à