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pièces de linge sale que nous avions à blanchir chacune. Les draps grossiers et les chemises de laine de nos gardes étaient autrement difficiles à laver que des mouchoirs de poche en batiste et nous étions obligés de faire la lessive dans une pièce de cave humide, aux fenêtres brisées, avec de l’eau jusqu’à la cheville, à une époque de l’année où il faisait déjà très froid, comme c’est le cas dans cette partie de la Russie en septembre.

Je dois avouer que j’étais accablée par cette dégoûtante besogne, qui, était, en effet, au-dessus de mes forces, car je commençais à souffrir, après quatre lessives, d’une forme très grave d’arthrite, accompagnée d’épuisement complet, d’anémie aiguë et de fortes fièvres. Les cas de maladie sérieuse étaient traités à l’« Hôpital Central des camps de concentration, » mais je suppliai les gardes de ne pas informer le Commandant de mon état, car je redoutais par-dessus tout d’être transférée à ce fameux hôpital, où les êtres humains mouraient comme des mouches, faute des soins les plus élémentaires. Les malades étaient, en outre, entassés les uns sur les autres sans égard aux cas de maladie contagieuse. Cette institution avait une affreuse réputation. Je préférais rester au camp, ne bougeant pas, pendant six semaines, de mon coin, sur les « nary. » C’était une vraie torture ! Je n’avais ni matelas, ni simple paillasson même, rien qu’une mince couverture repliée sur moi, et les douleurs que j’éprouvais dans toutes les articulations, dans les épaules et dans les côtes surtout, étaient parfois insupportables. Les planches étaient disposées transversalement : toutes les fois que quelqu’un y montait, elles étaient secouées tour à tour, et ces secousses me causaient de telles souffrances, que j’étais prête à hurler de douleur ! Les « nary » restaient vides pendant la journée, mais le soir, lorsque tout le monde s’y disposait pour la nuit, commençaient mes tortures. J’attendais qu’il fit sombre, et que tout le monde fût endormi, pour pouvoir pleurer à mon aise. Je m’en voulais de cette faiblesse, mais cela me faisait du bien.


Princesse TATIANA KOURAKINE.