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qu’il était secrétaire général de la préfecture du Puy, il s’était dégoûté du monde, et était allé se réfugier dans un séminaire pour y prendre les ordres. Il me présenta à l’archevêque. Ce bon vieillard, aussi respectable par ses vertus que par son grand âge, exigea de moi, comme un devoir qui m’était imposé, d’aller diner tous les jours chez lui, tant que je resterais à Bordeaux. C’est ce que je fis. A table il ne voulut pas qu’on parlât métier, malgré les cinq ou six prêtres qui s’y trouvaient habituellement. Il fallait lui parler guerre, batailles, et autres récits de ce genre. Il n’admettait pas que d’autres que moi lui versassent à boire. Enfin ce saint homme, comme on l’appelait dans la maison, me fit promettre, après m’avoir donné sa bénédiction, que dans les beaux jours du printemps je reviendrais le voir et que j’irais habiter sa belle maison de campagne qui lui avait été donnée par l’empereur Napoléon. Il me dit que quand il fut nommé chevalier du Saint-Esprit, on avait voulu lui faire quitter sa croix d’officier de la légion d’honneur, dont il était toujours décoré, mais qu’il s’y était refusé en disant que celui qui la lui avait donnée savait bien ce qu’il faisait.

Pendant les quatre jours que je restai dans cette ville, je fus tous les soirs au spectacle, où je vis jouer plusieurs opéras nouveaux qui me firent d’autant plus de plaisir que j’en étais privé depuis longtemps et qu’ils étaient bien représentés. Dans les Voitures versées, musique de Boieldieu, il y a une scène où trois jeunes femmes en grande toilette se trouvent réunies. Elles avaient chacune une couronne, l’une bleue, la deuxième blanche et la troisième rouge, et placées dans cet ordre. Quand elles parurent, elles furent applaudies. En 1815, les actrices et leurs admirateurs auraient été mangés vifs, c’est le mot, car je ne pouvais pas me rappeler sans effroi la soirée que j’y avais passée à cette époque. Quel changement en si peu d’années ! Après le spectacle, j’allais passer le reste de ma soirée avec des chanoines. On y buvait d’excellent vin de Bordeaux premier choix et on y causait fort gaiement.

J’eus le plaisir de visiter dans tous les détails un bateau à vapeur, le premier que je voyais et nouvellement construit.

De Grenoble où il assiste, le 24 août 1822 à une grande cérémonie militaire et civile pour la translation des cendres de Bayard, Barrès revient, en 1923, tenir garnison à Paris.

Le 3 juillet, nous fûmes présentés à Monsieur, Comte