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Il n’y avait chez personne ni agitation, ni inquiétude, malgré que les nouvelles des départements fussent défavorables au ministère. Si la figure des courtisans était assombrie, si de nombreux apartés annonçaient des préoccupations, le visage du Roi était d’une placidité remarquable. Il causait, comme à son ordinaire, avec les personnes qu’on lui présentait, sans que rien indiquât sur ses traits calmes, une grande résolution prise. Il s’entretint assez longtemps avec l’Hospodar de Moldavie, qui, dit-on, lui exprimait ses vœux pour qu’il put vaincre la résistance qu’on apportait à ses intentions conciliatrices, et à qui il répondait : « On y a songé. » Quoi qu’il en soit, ce fut en rentrant dans son cabinet, à l’issue de cette réception, que les fatales ordonnances de Juillet furent signées, fatales pour lui et sa famille surtout.

Ce fut la dernière messe que j’entendis à Paris, et la dernière visite que je fis aux Bourbons de la branche ainée.


LES ORDONNANCES

26 juillet. — Dès le matin de ce grand jour, le régiment prit les armes pour passer la revue administrative de M. le baron Joinville, intendant militaire de la première division, et se rendit à cet effet dans l’enclos du collège Henri IV, derrière le Panthéon. A dix heures, la troupe était rentrée dans ses quartiers et les officiers dans leurs logements, sans qu’aucun bruit fui parvenu à nos oreilles sur ce qui agitait déjà Paris. A onze heures, j’ignorais encore complètement que la capitale était en émoi et que j’étais sur un volcan qui devait renverser un trône, dont j’étais appelé à devenir un des défenseurs. Un violent coup de sonnette me tira de cette tranquillité d’esprit. C’était mon colonel qui venait m’annoncer les foudroyantes nouvelles du Moniteur officiel : la publication de plusieurs ordonnances royales, détruisant la liberté de la presse, annihilant divers articles de la Charte constitutionnelle, du Code civil et du Code d’instruction criminelle, annulant les lois électorales votées par les pouvoirs législatifs, supprimant les garanties accordées à la liberté individuelle et dissolvant la Chambre des députés.

Je fus glacé d’épouvante à cette énumération odieuse et à l’idée des malheurs qui allaient se répandre sur notre France. Il semblait, par la douloureuse impression que j’en ressentis