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renfermées et enlever les armes qui s’y trouvaient en dépôt En aucune part on n’avait fait résistance : on s’était soumis à la loi du plus fort, à la loi de la raison. Les officiers me dirent qu’il y aurait folie à se conduire autrement, et que pour eux, ils étaient résolus à céder, si on faisait des propositions qu’on put accepter sans déshonneur. Je leur répondis que c’était bien ainsi que je l’entendais, et les renvoyai chacun à son poste.

Après dix heures, plusieurs attroupements plus ou moins nombreux se présentèrent devant la façade principale de la caserne (rue Neuve-Sainte-Geneviève). Leurs voix, leurs gestes, leurs costumes, tout était effrayant. La majeure partie de ces héros des faubourgs et de la banlieue étaient armés. A leur tête on remarquait des hommes bien vêtus, ayant de bonnes manières, des décorations, des chefs enfin avec lesquels on pouvait s’aboucher. De la fenêtre du premier, où je m’étais placé, je fis signe que je voulais parler. On fit d’abord silence, mais quand on entendit parler de conditions à stipuler, de neutralité à garder, des cris furieux : « A bas les armes, à l’assaut ! » poussés par les énergumènes, ivres de leur succès, couvrirent ma voix. Tous les fusils se dirigèrent sur moi ; quelques soldats qui m’entouraient me saisirent en me disant : « Retirez-vous, commandant, ils vous tueront. » L’agitation était extrême, déjà on montait après les ifs qui servent aux illuminations. C’était, dans toute la force du mot, une des scènes hideuses de 1793.

Resté toujours à la place que j’occupais, je parvins à faire entendre que je désirais m’entretenir avec deux ou trois de leurs chefs. Cette proposition acceptée, je fis ouvrir la porte aux trois commissaires désignés qui se trouvaient être : un élève de l’Ecole polytechnique, un étudiant en droit de ma connaissance, et un personnage décoré, probablement officier en demi-solde, dont je fus très peu satisfait. Après des débats assez longs, dans cette conférence diplomatico-militaire, qui se tenait dans le corps de garde, il fut établi qu’on n’entrerait point dans ma caserne, que je ne remettrais qu’un certain nombre de fusils qu’on ferait passer par les croisées, et que l’élève de l’École polytechnique, un peu malade, resterait en otage près de moi pour la garantie des conditions convenues. Tout fut exécuté de bonne foi de part et d’autre. Quand j’eus déclaré à plusieurs reprises que je n’avais plus d’armes à donner,