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enfin tous les maux qu’engendrent l’anarchie et le triomphe des partis extrêmes.

Mon beau-frère dina chez moi, où il y avait une pension bourgeoise qui nous fournissait tout ce dont nous avions besoin. Il me donna des détails sur les événements des trois jours que j’ignorais complètement. Pendant le diner une dame, jeune et jolie, mais que je ne connaissais pas assez pour espérer d’elle une si grande preuve d’intérêt, vint me voir avec son mari, pour m’exprimer toute la joie qu’elle éprouvait de me trouver sain et sauf. Je fus bien vivement touché de cette obligeante attention ; une mère, une femme, une sœur, n’auraient ni mieux exprimé leur joie, ni donné plus d’expression à leur légitime tendresse. Cette visite inattendue me fit oublier bien des souvenirs amers.

Au cours de cette journée du 29, les deux bataillons du régiment qui étaient sur l’autre rive de la Seine, après avoir passé une partie de la nuit et de la matinée dans le jardin des Tuileries, étaient allés prendre position dans les Champs-Elysées. C’était le moment où les Parisiens attaquaient le Louvre, et peu après le palais du Roi. Le palais pris, toutes les troupes se retirèrent en désordre sur Saint-Cloud, en prenant toutes les directions qui y conduisent. Notre 15e, toujours rallié et maintenu, forma l’arrière-garde pour soutenir la retraite. Il se retirait par le quai. Malheureusement, la barrière des Bonshommes ou de Passy était fermée et défendue par les gardes nationaux d’Auteuil, Boulogne, Passy, etc. La situation était critique : attaqué en queue et en flanc, placé entre la Seine et la colline de Chaillot, que garnissaient des tirailleurs audacieux et adroits, on se trouvait acculé dans une impasse, et dans l’impossibilité de faire aucun mouvement, à moins de revenir sur ses pas pour marcher sur le ventre des Parisiens et prendre le pont d’Iéna. Le capitaine Bidou, qui commandait la première compagnie des carabiniers, eut l’heureuse idée de faire mettre la crosse en l’air à sa compagnie. Ce signal pacifique fut compris et la barrière s’ouvrit pour laisser passer le seul régiment qui ne fût pas entièrement démoralisé. Quoiqu’il ne répondit pas aux coups de feu, des individus placés sur la colline, et cachés derrière des murs, ne discontinuèrent de tirer sur lui et par malheur avec une adresse féroce. Un capitaine fut tué, ainsi que plusieurs soldats. Deux officiers et beaucoup de soldats furent blessés, lis tombèrent victimes de la funeste adresse de quelques individus qui croyaient