concevables dans des pays où la croyance à la métempsychose n’eût pas été aussi répandue. Quand le grand Li Long Mien, à la fin du XIe siècle, s’adonna à la représentation des chevaux, il y mettait tant de passion et s’identifiait si bien à ses modèles qu’un bonze l’avertit de cesser ces peintures trop sympathiques, s’il ne voulait pas, dans sa prochaine existence, renaître cheval. Les choses que nous montre l’art occidental, sont trop souvent isolées, retirées de l’univers ; le cadre même de nos tableaux est le symbole de cette clôture. Ici, au contraire, du moins dans la grande époque, les peintres ont pu s’intéresser aux moindres détails, s’émerveiller des plissements d’un caillou : mais alors même qu’ils descendent jusqu’au minuscule, ils ne tombent pas dans la petitesse. A travers les apparences, ils discernent toujours le jeu des forces élémentaires.
Tout en aimant les choses bien plus que nous, ils en sont beaucoup moins les dupes ; le monde est, pour eux, à la fois bien plus profond et bien moins réel qu’à nos yeux. Inspirés par le bouddhisme ou par les idées taoïstes sur la communauté des existences dans le sein du Tout, ils ont réussi à nous faire sentir en même temps ce que chaque être a de passager, et ce qu’il contient d’impérissable. De là l’effet qu’ont sur nous ces œuvres : elles donnent une sorte d’attendrissement austère, une émotion d’un caractère unique, parce qu’au lieu de fléchir dans le sentiment, elle se prolonge dans la pensée. La forme n’est plus alors la résidence définitive que l’art grec habite avec tant de conviction ; elle ressemble plutôt à ces tentes de soie qu’emportaient à travers l’Asie les monarques voyageurs, ornées, brodées, magnifiques comme des palais, mais dont un souffle d’air suffisait à émouvoir la paroi légère.
Les allusions que chaque objet comportait aidaient encore à déprisonner les choses. Le bambou signifiait la sagesse, une grue la longévité, un pin la vie immortelle, un couple de canards mandarins la fidélité des époux. Ce symbolisme, qui nuisit plus tard à la vie de l’art, ne faisait d’abord qu’empêcher qu’aucune image restât privée d’un sens idéal.
Parfois un raffinement de tons inouï se montre dans ces peintures, mais sans offenser leur majesté spirituelle. Il y eût là des maîtres aussi curieux dans leurs recherches, aussi portés aux plus subtiles investigations qu’un Léonard de Vinci ; comme lui, cependant, ce n’étaient pas uniquement des artistes. Certains