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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/437

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choses la torpeur et l’accablement, celle d’à présent, transparente, aérienne, les ranima et les réveilla, et il semble qu’on voie partout, comme des buveurs qu’excite un vin plus subtil, les monuments heureux qui se remettent debout. La foule aussi a changé d’aspect. Elle est plus lourde, au bas de la splendeur plus légère. Les nouveaux habits donnent aux passants quelque chose de cossu, d’engoncé, de déjà frileux : dans les groupes intervient le noir silencieux de la soie, tandis que reparaissent d’antiques douillettes, des mantelets aux tons assourdis, pareils aux vêtements longtemps conservés de nos dévotes de province. La figure glabre de ceux qui les portent, leurs airs de circonspection, d’égoïsme prudent, ajoutent encore à l’illusion. Mais ce qui l’étend et la complète de la façon la plus imprévue, ce sont les étendards, gonflés par la brise, de quelque cortège nuptial, qui, avec leurs dragons et leurs chimères, du goût le plus compliqué et le plus puéril, semblent vraiment, au-dessus des têtes, les drapeaux d’un peuple de vieilles filles. Une maison, pour l’ouverture d’une boutique, est tendue de haut en bas d’une toile rouge, piquée de caractères de papier doré, une corniche jaune et mauve terminant le tout. Ces jours-ci, pour je ne sais quelle fête du calendrier, les rues se sont emplies d’innombrables objets de papier, dont les couleurs tendres détonnent, dans la vieille ville morose, comme des fleurs peintes sur une toile usée dont on n’aurait pas recouvert le fond ; ce sont des paniers, de petits palais aériens, des canards mauves au bec jaune et tout cela, au bout d’un fil, sert de jouet au vent avant de devenir celui d’un enfant. Un marmot tout nu, couleur de muraille, s’en va en tirant une de ces corbeilles multicolores, traîné lui-même par sa mère, en noir, au visage clos et insensible.

Soudain, de cette poussière de détails, l’œil passe sans transition à la grandeur impersonnelle des palais impériaux. Les amples toits aux lignes courbes surgissent comme des tentes à jamais fixées ; le soleil, aux coins de l’enceinte, lustre et glorifie les tiares de tuiles des pavillons angulaires. Alors on sent revivre les lignes du plan solennel. Comme une eau dans les canaux qui la guident, la lumière semble couler plus facilement, par les grandes rues régulières.