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grappes de fruits arrangés dans le goût baroque. Nous longeons l’emplacement de la piscine et celui de la machine élévatoire qui fut la grande œuvre du père Benoit. Quand un autre escalier nous a ramenés au sol, et que nous nous retournons, nous croyons voir un Piranèse. Des jujubiers s’élancent dans le vide, du haut des murs. Deux cabanes, sous un grand arbre, sont accotées à la ruine. Des paysans assis égrènent du maïs, des poules caquettent entre leurs jambes, un chien grogne, un taureau noir nous regarde, un peu plus loin, plein d’une inquiétude immobile. Pour achever la ressemblance avec l’Italie, la voix traînante d’un chanteur rustique s’élève, non point gutturale, il est vrai, comme elle le serait partout sur les bords de la Méditerranée, mais nasillarde. Un dernier pavillon Louis XV, tout sculpté, tout blanc, rit dans cette lumière qui semble rendre les ruines mêmes heureuses.

Rien ne donne une idée plus juste de l’effort à la fois opiniâtre et ingénieux que les jésuites firent en Chine, que l’ensemble de ces monuments, où un peu de gaucherie se mêle à beaucoup d’agrément et de grâce, et qui ressemble à un pensum fait de très bon cœur. Les jésuites s’évertuèrent pour réunir deux grandes civilisations par leurs qualités supérieures. Comme les Croisés avaient lutté d’esprit chevaleresque avec les Orientaux, c’est par eux que l’Occident rivalisa de culture et de politesse avec la Chine. Apportant en Extrême-Orient nos sciences et nos arts, ils réformèrent le calendrier, construisirent des palais, fondirent des canons, inventèrent des machines, pour qu’enfin tant de travaux servissent à la religion qu’ils voulaient répandre.

C’était une lutte subtile entre eux et l’Empereur, les uns se prodiguant pour accréditer leur doctrine, l’autre s’étudiant à tirer d’eux tout ce qu’ils pouvaient lui valoir, sans se laisser gagner à leur influence. Il n’est pas dit qu’un duel du même genre ne se poursuive pas, aujourd’hui encore, entre les étrangers qui apportent ici leurs services et les Chinois qui en profitent. Tout ce que ces missionnaires obtenaient de faveur n’était qu’apparent, car ils n’acceptaient personnellement aucun avantage. Il n’y avait de réel, pour eux, que les disgrâces, les injures, les sévices et les supplices, mais selon l’élégante discipline du plus aristocrate des ordres, ils couvraient d’un air d’aisance presque mondaine l’austérité secrète de leurs vertus. Du reste, dans les