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voilà éminemment une idée de poète : de la vie des choses mêlée à la vie des âmes jaillit le symbole aux deux visages.

Le dernier acte va mettre Don Vincent en présence de son rival. D’abord il n’a que du dédain pour ce petit capitaine d’infanterie : il le toise et il le raille. Une surprise l’attend, une découverte qui restait à faire à ce découvreur de mondes. Ces gens de pied qu’il dédaigne, Gonzalo de Porras les connaît pour les avoir commandés. Ce sont rustres et paysans arrachés à leur charrue : oui, mais comme ils tiennent à ce sol sur lequel se penche leur labeur quotidien ! et de quel cœur ils lui feront le grand sacrifice ! Que le chef ordonne : plutôt que de reculer, ils se feront tuer sur place. Tripalda n’était qu’une bicoque ; mais


L’avenir tient parfois dans un arpent de sol
Dont deux peuples armés se disputent la prise.


Attaqué, défendu, perdu et reconquis, le village n’était plus qu’une ruine fumante ; la piétaille s’y était fait hacher ; mais elle l’avait gardé. Et nous, en écoutant ce récit d’autrefois plein des souvenirs d’hier, nous songions à ces « tas de cendre grise, » à ces « pans de murs lézardés » que nos poilus ont arrosés de leur sang, et qu’ils nous ont gardés.

Ce récit fait pendant à celui du premier acte : il oppose à un idéal un autre idéal. Il est beau de conquérir à son pays des terres nouvelles : il n’est pas moins beau de lui garder un coin de terre que l’ennemi veut lui arracher. Du point de vue moral, le soldat vaut l’explorateur. Il est le héros de la Patrie, si l’autre est le champion de l’Humanité. Tel est le sens de la pièce. Certains n’ont voulu y voir que l’opposition entre le toit et le navire, entre la vie sédentaire et la vie d’aventures, et en ont fait une simple réplique du Flibustier. C’est autre chose : la lutte entre deux grandes idées, qui l’une et l’autre ont mis au cœur de l’homme les plus belles résolutions.

Dans le petit capitaine de tout à l’heure, Don Vincent a découvert le héros ; et il a été gagné au charme de sa jeunesse. Vieillard, par l’expérience plutôt que par l’âge, écoutez-le dire, comme en rêve, ces vers, dès le premier soir devenus fameux : le « couplet du Casque. »


Pourquoi, lorsque l’ombre d’un casque
Descend sur de tout jeunes yeux,
Donne-telle au regard, au masque,
Tant de lointain mystérieux ?
Pourquoi contre une joue imberbe,