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de l’armée du Nord et qu’il accepte le Gouvernement de Cuzco, province limitrophe du Chili.

Il établit dans cette province un modèle d’administration civile et de commandement militaire ; il en multiplie les ressources ; il provoque les dons généreux et improvise une fabrique de drap pour l’armée, une poudrerie, une manufacture d’armes, un parc d’artillerie et du génie ; le père franciscain Beltran, d’origine française, est son grand ingénieur : on l’appellera l’Archimède de l’armée des Andes. Le Chili, dont la révolution de Buenos-Ayres a amené par répercussion l’indépendance, est tombé dans des discordes civiles qui ont facilité le rétablissement de la domination espagnole, et les émigrés chiliens entourent son quartier général. Il sait les employer, tenir la balance entre les partis, et il poursuit imperturbablement l’exécution du plan qu’il a conçu : reconquérir le Chili et s’en servir comme de base pour bondir sur Lima, capitale, trésor, arsenal de l’Espagne ; il frappera du même coup l’ennemi à la tête et au cœur et assurera ainsi l’indépendance de l’Amérique méridionale.

Grâce aux patriotes chiliens, il étend sur son objectif une ramification serrée qui le renseigne à toute heure et prépare son action, travaux d’approche et galeries souterraines, ce que son biographe Mitre appelle sa guerre de sape.

Ce grand réalisateur apprend à se servir de la politique, tout en la méprisant ; il sait parler et il sait se taire, accueillant et aimable en même temps que très secret, naturellement gai et parfois sévère, mais toujours maître de soi dans l’action. Car c’est un homme d’action positive et réfléchie, qui, avec le coup d’œil et la décision rapides, avec la connaissance et le maniement des hommes, avec un désintéressement poussé jusqu’à l’abnégation, marche imperturbablement vers son but : l’indépendance de sa patrie naissante, où il a vécu à peine. Il a combattu vingt ans dans les rangs espagnols en Afrique et en Europe, il combattra dix ans contre les Espagnols en Amérique ; puis, sa tâche remplie, libérateur de trois républiques, il s’en ira sans un mot de reproche ni même de regret, et mourra en France, après trente ans d’un exil ignoré.

Ce n’est pas sans peine que San Martin obtient du Gouvernement de Buenos-Ayres l’approbation de ses projets. Les deux partis chiliens, représentés par Carrera et O’Higgins, ont chacun