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secours de la main droite : elles s’entr’aident, elles s’approuvent, puis elles se contredisent et se disputent : elles semblent douées d’une vie propre, ces mains intelligentes et bavardes, qui tracent inlassablement dans les airs les signaux d’une télégraphie sans paroles. Les gens du Nord font bien les dégoûtés, qui prétendent qu’on doit parler sans gestes, et qui rient de voir gesticuler. Se croient-ils si beaux, avec leurs bras collés au corps, et leurs mains sans emploi ? Ils sont tellement embarrassés de leurs doigts, qu’ils sont réduits à se les mettre dans les poches. Excusons-les ; et laissons ces barbares à leur malheureux sort : ils sont incurables.

Ici, on comprend tout au vol. L’intelligence est incroyablement prompte ; on la lit sur ces visages mobiles ; on la voit éclater dans ces yeux pétillants. Le plus divertissant des jeux est celui des idées ; n’y joue pas qui veut : il est familier aux Napolitains, dès qu’ils atteignent un certain degré de culture. Cette race fertile produit de nobles et hauts penseurs : n’est-ce pas sur le sol de la Napoli nobilissima que Benedetto Croce s’est plu à édifier les constructions de l’hégélianisme ? Esprits déliés, esprits agiles, ils comprennent d’intuition ce que nous n’arrivons à nous assimiler qu’au prix d’une longue patience et d’un pénible effort. Ainsi pour toutes choses. S’ils se donnent le luxe de flâner, au gré de leur caprice, c’est que le ciel favorable les a trop bien doués pour les condamner à travailler toujours.

Au reste, ces grandes rues marchandes, avec leurs magasins somptueux et leurs étalages cossus, ressemblent assez aux voies centrales de toutes les grandes villes européennes. Il faut le dire à l’honneur de Naples : elle éventre ses bouges, démolit ses quartiers malsains, jette bas des agglomérations entières, qui suaient la laideur et la malpropreté. Œuvre indispensable, qu’elle mènera jusqu’au bout. Déjà le pittoresque truculent qui éclatait partout aux regards, jadis, ne se trouve plus que par exception ; il s’est réfugié dans ses dernières citadelles. On l’assiège, on l’expulse ; dans quelques années sans doute il aura disparu. Puisque nous sommes en veine de flânerie, cherchons-le, par curiosité pure, comme dernier vestige d’une époque qui demain ne sera plus qu’un souvenir.

Elle est du côté du port, cette Napoli vecchia qui figure encore dans les guides, à titre d’attraction connue. Un cocher quémandeur nous y conduira à toute allure, claquant la langue pour