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la Variété dans l’unité. L’Italie victorieuse s’affirme, non pas malgré les Italies, mais grâce aux Italies.

C’est ici l’une des Italies, et l’une des plus marquées. Sans doute serais-je encore plus frappé par cette diversité locale, si je poussais jusqu’en Sicile et jusqu’en Sardaigne. Elles ont joué un grand rôle pendant la guerre, ces provinces au sang généreux ; il vaudrait la peine de savoir jusqu’à quel point la guerre les a transformées. Peut-être reprendrai-je plus tard mon enquête : pour le moment, il faut que je songe à la route du retour. Naples, déjà suffit à satisfaire les plus difficiles en fait d’originalité locale. Elle vit de la vie générale du royaume, et en même temps d’une vie à part. La population n’est pas nécessairement agitée par les courants qui remuent les foules, là-haut, dans le Nord. La « question du Midi, » pour parler comme les économistes et comme les politiciens, est une de celles qui se posent tous les jours dans les feuilles publiques ; elle ne manque jamais de figurer au programme des ministères, quand ils prennent le pouvoir : elle consiste essentiellement à marquer que le Midi diffère des provinces septentrionales par sa mentalité, par ses intérêts, par tout son être ; qu’il est moins cultivé, moins prospère, moins heureux ; et à suggérer les mesures qui lui procureront l’égalité parfaite avec le Nord. Quant à les appliquer, c’est une autre affaire : les ministères changent, la question du Midi ne change pas. Peut-être faudrait-il, pour assimiler tout d’un coup la Calabre ou les Pouilles à la Lombardie ou au Piémont, abolir les effets des Gouvernements séculaires qui ont traité leurs peuples par l’inertie et par l’engourdissement ; peut-être faudrait-il changer la nature...

Assurément, Naples a souffert de la guerre. Outre qu’elle a connu pour son compte la douleur des deuils multipliés, et que son petit peuple sans épargnes a pâti des privations, son port, qui était plus particulièrement consacré au trafic des voyages, a cessé de lui fournir du travail, faute de voyageurs. Mais enfin, éloignée du théâtre des opérations, moins secouée que beaucoup d’autres villes, il semble qu’elle ait retrouvé plus vite son équilibre. Il n’y a pas eu ici, m’explique un avocat très versé dans le monde des affaires, de ruines colossales ; il n’y a guère eu de ces fortunes insolentes, édifiées ailleurs sur la misère publique : la race des « requins » a peu prospéré dans les eaux du golfe. Donc, on a moins souffert des brusques changements sociaux