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pas la fin de cette guerre ! L’armée de Denikine avait battu en retraite au delà du Don, mais on parlait d’une nouvelle offensive des blancs pour le printemps. L’étoile du baron Wrangel commençait à se lever : les bolchévistes le redoutaient, connaissant sa réputation d’homme non seulement brave et plein de talent, mais probe, énergique et entreprenant. J’avais espéré, au commencement de ma captivité, que mon mari parviendrait à me sauver des griffes des bolchévistes. J’ai su depuis, que, se trouvant alors à l’étranger, il avait envoyé sept fois des émissaires en Russie pour négocier ma mise en liberté... Ma sœur avait fait aussi des démarches ; on avait agi par l’entremise de Béla-Kun, de Radeck, de Sadoul,... tout cela sans résultat.

Je n’avais que fort rarement des nouvelles de Kiev. Je savais seulement que mon fils, ne se sentant pas en sécurité à Kiev, où il était trop connu, était contraint d’errer de village en village, vivant, sous un faux nom, tantôt chez un de nos anciens employés, tantôt chez un prêtre de village ou un ancien membre de la police rurale. J’appris un jour, par une lettre de ma tante, Mme I... , que notre vieille bonne s’était mise en route pour Moscou en septembre, espérant nous rejoindre et nous venir en aide. Quatre mois environ s’étaient écoulés depuis et on n’en avait aucune nouvelle. Elle avait quitté Kiev au moment où cette ville se trouvait entre les mains des blancs, et elle devait passer par la ligne de front bolchéviste pour arriver à Moscou. J’étais persuadée qu’elle avait été capturée par les rouges. Elle avait sur elle un million de roubles, et d’autres valeurs encore : ils l’avaient certainement fusillée. Il m’était atroce de songer que son dévouement pour moi avait été la cause de sa mort.

Les journées s’écoulaient ainsi toutes pareilles, lorsque soudain un événement inattendu vint changer le cours de mon existence.

Le 14 février, par une claire journée de gelée blanche, comme je passais devant la chancellerie, un des gardes m’arrêta pour me dire que j’étais invitée à me rendre chez le commandant.

En entrant dans le cabinet de ce commandant, je le trouvai en conversation avec un individu de type sémite, qui me fit prendre place vis à vis de lui.

— Je suis juge d’instruction au « Comité central exécutif Pan-Russe, » me dit-il. Et il tira de sa poche deux enveloppes