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Directeur jusqu’au dernier des geôliers, étaient toutes recrutées parmi les serviteurs de l’ancien régime. Mais il leur fallait une extrême prudence de tendances « contre-révolutionnaires. »

Cependant, le mauvais état de ma santé et l’éternelle sensation de faim que j’éprouvais, m’amenaient peu à peu à un état de dépression profonde. Sans nouvelles de mon mari, je n’étais guère moins inquiète de mon fils. Ajoutez l’incertitude complète où je me trouvais, par rapport à ma mise en jugement. Deux mois s’étaient écoulés depuis que j’avais été amenée à la prison Novinsky, et je me rendais compte que l’inculpation sous laquelle je me trouvais était des plus graves, au point de vue des Soviets. J’étais accusée de fournir des officiers à l’armée blanche... sans compter que j’étais la cousine du baron Wrangel, ce qui était, par soi-même, un crime. Du temps de ma détention au camp, la famille Kostomaroff, — père, fils, fille, — avait été fusillée pour avoir correspondu avec un officier de l’armée blanche qui était un de leurs parents.

Je me souviens du profond sentiment de tristesse qui s’empara de moi la nuit de Pâques ! Il y avait une église à la prison ; par miracle, les Bolchévistes ne l’avaient point fermée et y toléraient le service divin. Le temps était magnifique, malgré la saison peu avancée. Les fenêtres de l’hôpital faisaient face à l’église ; la messe de minuit avait commencé, mais je ne pouvais me décider à m’y rendre : je craignais d’éclater en sanglots, et ne voulais pas montrer mon émotion. J’ouvris la fenêtre... L’église était brillamment illuminée, j’entendais chanter : « Le Christ est ressuscité, » toutes les cloches de Moscou sonnaient et les étoiles scintillaient dans le ciel clair. Mon cœur avait toujours été joyeux à Pâques. Mais à présent, je voyais et j’entendais toutes choses comme si j’étais de l’autre côté de la tombe !


VI. — SUR LE BANC DES ACCUSÉS

Ce fut peu de jours après Pâques, que j’eus connaissance de l’acte d’accusation dressé contre moi, le jugement devant avoir lieu sous peu. J’étais inculpée d’être « une propriétaire qui buvait le sang du peuple, » une aristocrate titrée, une parente de Wrangel, qui fournissait des officiers à l’armée blanche, — tous crimes que je savais déjà à ma charge : l’acte d’accusation ne m’apprit rien de nouveau.