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des passions brutales, les catastrophes tragiques et l’effusion du sang. Comme partout où le poète n’écrit que pour la cour, il n’y avait en réalité qu’un genre, la pastorale : qu’on se figure un théâtre condamné aux Amintes et aux Pastor fido. Des forêts où des princes s’égarent à la poursuite d’une biche, des jeunes filles dans un jardin, soignant les fleurs de l’ermitage, le spectacle de l’amour naissant, les plaintes de l’innocence séduite et délaissée, la vengeance d’un vieil enchanteur irascible, qui jette un sort sur les amants, les voyages de l’épouse qui égare l’anneau qui devait la faire reconnaître, tels sont les incidents qui remplissent les sept actes de la longue idylle de Sakountala. Tout l’intérêt consiste dans une succession d’images qui renouvellent constamment l’impression de grâce et de beauté plastique. Qui ne connaît les vers où Gœthe a exprimé l’enchantement de cette volupté ?

On verra que Tagore n’a pas laissé d’introduire dans le drame hindou des éléments nouveaux. Je soupçonne qu’il n’a pas été sans subir l’influence des petits drames fameux de M Maeterlinck. Mais il est évident que son ambition première a été de ressusciter le théâtre classique. Le nom de Kalidasa se trouve à chaque instant sous sa plume. Rien ne change en Orient : à travers un espace de douze ou de quinze siècles, c’est le même théâtre qui se continue.

Il ne faut donc pas s’imaginer des pièces, construites à l’européenne, avec cette armature d’intrigue et cette articulation qui forment une part essentielle de notre art dramatique. L’action y conserve beaucoup plus que chez nous la nature du songe. Notre réalisme y est inconnu. Il y a en général dans l’art oriental une esthétique de convention, de dignité et de retenue, analogue au sourire un peu figé qui flotte sur les membres et sur le visage imperturbable des Bouddhas : c’est le caractère de ces danses qui consistent en de lentes oscillations du corps et en flexions délicates des poignets et des mains, si différentes du tourbillon et des bonds de nos ballerines. C’est un art statique, monumental. Il y a plus de trente ans, M. Sylvain Lévi, décrivant les acteurs hindous, écrivait : « Leur jeu consiste plus en déclamation qu’en action ; aux moments les plus pathétiques, ils restaient immobiles. » La mère de Bouddha, s’accoudant à un arbre dans une attitude gracieuse, et donnant le jour à son fils, qui s’échappe de son flanc droit, comme une