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On sait en effet que peu à peu, dans la seconde partie de sa vie, le poète intime, en Tagore, a fait place de plus en plus au prophète, à l’apôtre. Il a pris conscience de sa mission. Les vastes événements dont l’Asie est le théâtre depuis quinze ans, la part plus active qu’elle prend à la vie universelle, devaient à la fois inspirer et servir l’écrivain. On l’a vu, depuis 1912, désigné à la gloire mondiale par le prix Nobel, promener au Japon, en Amérique et à deux reprises en Europe la parole nouvelle. De plus en plus, Tagore fait entendre dans les affaires du monde la voix de l’Orient.

C’est à cette époque qu’appartiennent les petits drames qui ont été réunis il y a quatre ou cinq ans sous le titre de Sacrifice. Ils sont d’une manière toute différente des précédents, plus courts et plus rapides, plus âpres et plus violents. L’auteur ne voit plus dans le théâtre qu’un instrument de propagande. Il s’en sert pour la diffusion de sa doctrine, comme il ferait un discours ou une conférence. Le ton demeure, en général, d’une solennité hiératique, parfois d’une grande beauté d’images. Seulement, ces petites improvisations fougueuses, ces esquisses dramatiques, ces moralités édifiantes, composées à la hâte pour les besoins d’une idée, perdent tout à fait le charme poétique qui faisait le principal mérite des premiers « mystères » de l’auteur. Ceux-ci devaient presque tout leur prix à leur indécision même, à je ne sais quoi d’involontaire et d’indéfinissable, à une irisation de perle, à une condensation de songe. C’est perdre beaucoup que d’échanger cela pour la gloire d’une démonstration. C’est l’inconvénient de l’art qui se réduit à prouver : il ne lui reste plus que la valeur de la thèse. Dans ces derniers drames, Tagore apparait presque, toutes proportions gardées, comme le Hugo de Mangeront-ils ? ou comme une sorte de petit Voltaire, le Voltaire des Guèbres ou de l’Orphelin de la Chine, luttant contre le fanatisme et la superstition, déclarant la guerre aux Brahmanes et faisant de son théâtre une arme de combat.

Mais le théâtre hindou, avec son absence de ressort, sa psychologie ignorante et sa construction enfantine, est encore beaucoup moins capable que le nôtre de porter des idées et d’en exprimer le conflit d’une manière intéressante. Les personnages de Tagore, dans ses meilleures pièces, sont à peine des rires vivants ; dans ses drames philosophiques, ce ne sont plus que des