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feuilletoniste, salonnier, critique de théâtre... Il est facile de recueillir et de grouper certaines paroles tristes et qui ont échappé à Gautier dans les moments de lassitude. Mais, à vrai dire, je ne puis le plaindre. Il avait choisi le métier de servir la littérature, qu’il adorait : et il l’a servie de toutes manières, par ses poèmes, ses romans, et aussi en accomplissant toute la tâche d’un critique.

Du moins, si M. Paul Bourget ne lave point la vaisselle comme Gautier, Barbey ou saint Bonaventure, s’il méprise de s’attaquer aux personnes qui sont, dans la littérature, les ennemis de l’intérieur, il pose avec une admirable netteté les principes en vertu desquels on devra séparer les bons et les mauvais écrivains. .

Un art l’intéresse par-dessus tous les autres, l’art où il est passé maître, le roman. Je ne sais si aucun romancier a, comme lui, médité sa technique, l’a éprouvée, ensuite l’a voulue. Les pages où il la présente sont des merveilles de lucidité intelligente.

Méfiez-vous, dit-il : c’est mon opinion ; c’est mon système et qui dérive de mes instincts peut-être autant que ma raison !... Mais le système qu’il tient pour bon, ses romans le certifient : son œuvre ajoute au précepte la démonstration. Trois préceptes, et qu’il résume par ces mots qui ont besoin d’un commentaire : la crédibilité, la présence, l’importance du sujet.

La « crédibilité » est « la vertu première du roman. » La crédibilité « se distingue de la vraisemblance et même de la vérité. » Voulez-vous un exemple ? Les Trois mousquetaires, du vieux Dumas : « L’histoire racontée est invraisemblable dans dix-neuf épisodes sur vingt, et la crédibilité de la fable est souveraine... Le lecteur ne peut pas ne pas y croire et, à cause de cela, c’est un grand roman, tandis que Salammbô n’est que le plus magnifique exemple de rhétorique de la langue. » Pour préférer à Salammbô ces Trois mousquetaires, il faut que M. Paul Bourget se place, comme il le fait ici, au seul point de vue d’un roman, d’une histoire, d’un conte, enfin d’un mensonge qui s’adresse à notre crédulité. Nous savons bien que ce n’est pas la vérité.

Nous serons dupes volontiers, pourvu qu’on nous y engage. Et la vraisemblance nous y aide. Cependant, elle ne suffit pas ; il y a même un don du romancier qui se moque de la vraisemblance et qui, sans elle, nous persuade. « A quoi tient-elle, cette crédibilité, qui fait que nous disons couramment, un Don Quichotte, un Robinson, un d’Artagnan, quelque différence qu’il y ait entre le génie d’un Cervantes ou d’un Daniel de Foë ; à la facilité hâtive de l’improvisateur