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résolus à faire respecter les conventions conclues et à sauvegarder leurs intérêts légitimes. Les nouvelles qui arrivent de Constantinople ne laissent pas que d’être alarmantes ; la bonne volonté d’entente dont, sur place, les hauts représentants de la Turquie comprennent la nécessité, est trop souvent annihilée par les surenchères nationalistes de l’Assemblée d’Angora, qui, loin des réalités, laisse ses passions dicter ses résolutions. Refet pacha, chargé par Mustapha Kemal du gouvernement de Constantinople, vient d’être remplacé par décision de l’Assemblée qui lui reproche sa condescendance à l’égard des Hauts Commissaires alliés et l’accuse d’avoir laissé échapper le Sultan que les exaltés d’Angora prétendaient juger pour haute trahison.

Le nouveau khalife vient d’être élu par un scrutin parlementaire à l’Assemblée d’Angora : c’est le prince Abdul-Medjid, fils du sultan Abdul-Aziz ; mais il ne recevra pas l’investiture du pouvoir temporel ; il est khalife, par le vote de l’Assemblée, non pas sultan ; il recevra le manteau du Prophète, mais il ne ceindra pas l’épée d’Osman ; résigné, du moins en apparence, à cette demi-déchéance, il s’est établi au palais de Dolma Bagtché d’où il se prépare à lancer aux fidèles de l’Islam une proclamation, rédigée à Angora, pour les engager à rester attachés à la foi de leurs pères et à se serrer autour du khalife, commandeur des Croyants. Il reste à savoir comment le monde islamique jugera ces procédés révolutionnaires.

Il est encore impossible d’affirmer que la Conférence de Lausanne réussira à rétablir la tranquillité et la sécurité en Orient. Mustapha Kemal, Ismet pacha et les plus éclairés d’entre les Turcs sont certainement enclins à une paix que leurs soldats souhaitent ardemment ; ils apporteront aux négociations un esprit de conciliation et une volonté d’entente qui ne resteraient inopérants que si l’Europe prétendait leur imposer une tutelle qu’ils sont résolus à rejeter. Mais auront-ils l’autorité nécessaire pour faire accepter à Angora, où la diplomatie des Bolchévistes encourage l’intransigeance nationaliste, la paix qu’ils croiraient possible de conclure à Lausanne, c’est ce qu’il serait téméraire de prédire.


RENÉ PINON.


Le Directeur-Gérant :

RENÉ DOUMIC.