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d’une pièce d’archives, qui ne viendra peut-être jamais, tenons pour acquise la date qu’ils ont donnée [1].

La mémoire de notre Du Bellay reste entourée d’un sentiment particulier et d’une sorte d’affection familière. Ces pages suffiront mal à l’expliquer ; elles voudraient surtout inviter d’autres couronnes à se poser sur ce cher tombeau. Il n’y aura pas que des Français à prendre part à cet hommage. Depuis le brillant essai de Walter Pater, maint écrivain de langue anglaise s’est épris de Joachim ; aujourd’hui, c’est l’Italie, avec un Neri ou un Addamiano, qui poursuit, sur les sources utilisées par lui, les enquêtes si neuves de notre Vianey et de notre Villey. On connaissait son culte pour Pétrarque et pour Arioste ; il nous fut révélé qu’en écrivant la Défense et illustration de la langue française, il a jeté pêle-mêle, dans le flot de son argumentation en faveur de la langue nationale, des morceaux entiers d’auteurs italiens ayant soutenu avant lui contre le latin les droits de leur « toscan. » Ces emprunts ne diminuent guère l’intérêt du célèbre opuscule, qui vaut par ses qualités de combat et par quelques préceptes décisifs. A ses titres de poète Du Bellay ajoute l’honneur d’avoir signé le manifeste du nouveau lyrisme français, dont les modèles n’ont pas épuisé leur force, puisque la moderne poésie s’y règle encore.


On possède une anecdote charmante de ce printemps de nos lettres. C’est la rencontre d’hôtellerie, sur la route de Poitiers, où se connurent Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard. Celui-ci, sur ses vieux jours, aimait la raconter à ses amis. Deux jeunes gentilshommes, presque du même âge, nés en des provinces voisines, se découvrent quelques liaisons communes, une lointaine parenté, et surtout ce lien plus fort que ceux du sang, le même goût passionné pour la poésie. Ce qui traîne sous ce beau nom chez les rimeurs de cour à la mode les déconcerte et les irrite. Ils rêvent d’un art nouveau, qui mènerait leur

  1. Voyez Henri Chamard, Joachim du Bellay, 1522-1560, Lille, 1906, p. 19 ; abbé Bourdeaut, La jeunesse de J. du Bellay, Angers, 1912, p. 46-48. Les mots des Regrets, qui ont égaré Sainte-Beuve et d’autres, prouvent simplement que Du Bellay, à Rome, était incertain de l’âge de Ronsard ; du moins, n’hésitait-il pas sur le sien, quand il écrivait à Gordes, au plus tard en 1557 :
    Jam mea cycnæis sparguntur tempora plumis...
    Et faciunt septem lustra peracta senem.