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Sa Majesté poursuivit :

— Après une longue conversation amicale qui avait porté uniquement sur nos affaires de famille, l’empereur Guillaume me prit à part et se mit à me démontrer combien il serait important, pour la paix générale, que la Russie et l’Allemagne signent un arrangement qui les obligerait à s’entr’aider en cas de complications européennes et il m’a proposé de signer un texte qu’il avait sur lui tout prêt. N’y voyant rien d’inacceptable pour nous, j’ai acquiescé au désir de l’Empereur. Comme il n’y avait pas de ministres des Affaires étrangères auprès de nous, l’empereur Guillaume a fait venir Tchirsky, qui se trouvait à bord en qualité de son secrétaire diplomatique. Celui-ci s’est présenté avec un grand portefeuille sous le bras et c’est lui qui a contresigné la signature du Kaiser au bas du texte. L’exemplaire double qui est resté chez moi a été copié par mon frère, le grand-duc Michel, sur une feuille de papier à en-tête de mon yacht Standart. Ma signature a été contresignée par l’amiral Birileff qui était là. Bien qu’il n’ait pas été spécifié que l’arrangement fût secret, l’empereur Guillaume m’a prié cependant de n’en souffler mot à personne jusqu’à la signature de la paix avec le Japon. Voilà pourquoi je ne vous en ai pas parlé plus tôt. Maintenant, l’empereur Guillaume me prie de faire connaître notre accord au Gouvernement français.

Et l’Empereur tendit le document au ministre.

Ebahi, stupéfait, Lamsdorff demanda à Sa Majesté de lui donner le temps nécessaire pour trouver une issue à cette horrible impasse.

Sans parler des procédés auxquels l’empereur Guillaume avait recouru pour obtenir la signature de son « Impérial ami, » il était manifeste que l’accord était dirigé contre la France, notre alliée.

Ayant échoué dans ses démarches insidieuses de l’année précédente, grâce à l’intervention du comte Lamsdorff, le Kaiser croyait cette fois jouer à coup sûr. Sachant que Nicolas II faisait sa croisière habituelle dans les eaux finlandaises, il lui avait annoncé par télégraphe son intention de venir le voir, et il l’avait supplié de laisser à cette entrevue un caractère tout familial.

Puis, convaincu que, pour réussir, il faut toujours agir sans donner à son adversaire le temps de réfléchir, il était arrivé à Björko avec un document tout prêt, en poche, et il avait pris