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tout a fait obstacle, et, comme il gèle bien fort, je ne puis guère prévoir, à une semaine près, quand j’irai. Je remets donc à vous parler porcelaine. Comptez bien sur mon zèle pour ajouter par mes choix aux jouissances que vous vous promettez, car, bien que ma fortune ne me permette pas d’atteindre à la vie élégante, j’en ai l’instinct, et je rougis quelquefois des regrets que je lui donne. Je trouve que les choses ont encore trop d’empire sur moi, et je ne me pardonne pas cette faiblesse. C’est une guerre continuelle ; ma raison prêche à merveille, mais dans l’occasion, l’entraînement est le plus fort ; il y a quelque chose derrière tout cela… enfin, Dieu m’assiste !

Je ne puis vous dire combien j’ai été attristée de votre indisposition ; il me semblait que je pouvais me l’attribuer en partie. J’aurais dû vous empêcher de travailler autant. L’ennui eût mieux valu pour vous que cet excès d’excitation. Bien des causes ont agi sur moi. Je sentais que notre vie monotone ne pouvait vous être offerte qu’à petites doses, et seulement comme antidote à vos longs travaux. Puis, je n’osais aller dans votre chambre, vous déranger, vous enlever pour quelques instants à vos méditations. Je me l’étais promis avant votre arrivée ; pendant votre séjour, je tâchais de me donner du courage pour cela ; je n’ai pu me vaincre, et c’est bête ; aussi, vous avez été malade ! Et une idée désagréable va s’unir étroitement à celle de votre séjour ici. Je suis mécontente de moi, Honoré. Si vous regrettez de ne pas nous avoir parlé amitié, nous sommes ici dans le même cas. Mais, à nous, est restée la douce impression de votre attachement, que votre présence prouvait plus que toutes les paroles. Puisse-t-il en être ainsi en vous, et puisse l’ensemble de nos actions et de nos paroles, même les plus indifférentes, vous avoir laissé la conviction intime du plaisir que vous nous avez fait, et de l’affection que nous vous portons ! À propos d’affection, le capitaine au front sévère et aux anecdotes qui le sont un peu moins, vous attend {{lang|it|con amore}}, avec le roi des saucissons de Lyon[1]. Le temps, qui fuit si vite en détail, nous paraît long en masse ; il nous semble qu’il y ait six mois que vous nous avez quittés.

Votre venue ici a fait ère, nous ne comptons plus qu’avant ou après Honoré. Le reversi qui tente quelquefois de refleurir

  1. Cf. Lettre de Périolas à Balzac du 12 février 1832 dans la Revue du 15 janvier 1922.