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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/87

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Si Du Bellay a des prédécesseurs parmi nos humanistes, il n’en a pas parmi nos poètes. Il a vu le premier ces murs puissants, témoin des plus hauts faits de l’histoire, que tant d’honneur n’a point préservés de l’écroulement, et il a exprimé par des vers justes et précis la majesté de la ruine et du paysage qu’elle ennoblit.

Cette expression est le bien propre du poète. On trouve assez peu de textes italiens qu’il ait réellement transposés, tels que le fameux sonnet de Baldassare Castiglione : Supeprbi colli voi, sacre ruine..., devenu en français : « Sacrés coteaux, et vous, saintes ruines... » Traitant le sujet en latin dans une grande élégie intitulée Romaæ descriptio, il y porte la même sincérité directe et plus d’éloquence encore. Lorsqu’il a des modèles, son mérite est de faire rendre par notre « vulgaire, » avant toute autre langue transalpine, cette « poésie des ruines, » dont l’avenir tirera maint chef-d’œuvre. Rappelons-nous ici ce qu’un autre art a produit au siècle suivant, avec Poussin et Claude Lorrain, dont Chateaubriand dira que « ce sont des yeux français qui ont vu le mieux la lumière de l’Italie. » C’est aussi une voix française qui a convié le monde à goûter Rome d’une certaine façon et à y chercher des émotions souveraines.

A son évocation des siècles morts, Du Bellay a su mêler les allusions à la Rome nouvelle, qui se bâtissait sous ses yeux et qui trouvait parfois, dans la démolition des monuments antiques, des matériaux pour ses églises rajeunies et ses magnifiques palais :


Toi qui de Rome, émerveillé, contemples
L’antique orgueil qui menaçait les cieux,
Ces vieux palais, ces monts audacieux,
Ces murs, ces arcs, ces thermes et ces temples,

Juge, en voyant ces ruines si amples,
Ce qu’a rongé le temps injurieux,
Puisqu’aux ouvriers les plus industrieux
Ces vieux fragments encor servent d’exemples.

Regarde après, comme de jour en jour,
Rome fouillant son antique séjour
Se rebâtit de tant d’œuvres divines :

Tu jugeras que le démon Romain
S’efforce encor d’une fatale main
Ressusciter ces poudreuses ruines