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en meurtrières. Des reines et des rois, des musiciens aux mains longues posées sur les cordes des violes et des psaltérions, des lutteurs étreignant des fauves, des serviteurs préparant les viandes et d’autres qui présentent l’aiguière, les gâteaux ou le pain, y demeurent encore, ciselés dans le granit, au chapiteau des colonnes. Tout aussi somptueusement que les clercs éblouis de la Compostellane, ces petites figures racontent quelles fêtes se donnèrent ici, et ce qu’y furent les festins... Plus bas, dans un autre salon plus sépulcral encore, les hauts piliers qui portent la quadruple voûte, sont comme l’image même, dans leur sveltesse puissante et leur élancement, de ce très ambitieux et fin, et très grand Gelmirez... Les belles processions, quand elles avaient pris fin, c’est ici que rentraient, pour les plaisirs du repos, ceux de la table, et pour la prudente ardeur d’entretiens touchant à toutes les puissances du ciel et de la terre, tant de chanoines en or, de princes chamarrés... Comme on entend encore, en fermant les yeux, le bruit majestueux de leurs robes traînées, — plus bas, encore plus bas, dans les cuisines énormes, sous la voûte en ogive des couloirs, au fond des salles innombrables, on entend bruire et se presser la multitude des serviteurs, et craquer le brasier où rôtissent les viandes, et ruisseler, au bord de ce puits que fit ouvrir l’évêque pour les commodités de sa maison, « l’eau que l’on en tirait par un admirable artifice ! »

Hélas !... les beaux salons sont comblés par la terre et des fouilles récentes commencent seulement à les dégager. Dans toute cette partie basse où se trouvent les cuisines, il est bien difficile de démêler ce que furent la ligne, la direction première de tant d’arceaux romans comblés ou rompus. A ces vestiges d’une domination, d’une splendeur défaites se mêle l’apparence d’autres forces qui continuent de vivre et terriblement se révèlent : les forces de la terre qui grouille et s’accumule, de la mousse qui ronge, de l’herbe envahissante. Nous sommes ici au niveau des cours humides où plonge la base des chapelles, celle des murs et des tours de la cathédrale. Verdâtres à cette profondeur autant que les ruines du palais, les pierres qui supportent encore tant de persistante beauté, tant d’intacte magnificence ; rongés les écussons orgueilleux, les chapeaux de cardinaux ciselés dans la pierre. Quand on est descendu jusqu’ici, ou ne pourra plus oublier que la ronce monte à l’assaut, que le sol