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notes, l’exubérance de la joie font ressembler son air a quelque vieux noël. Et puis les chants commencent : un solo bref, d’abord, que tous reprennent en chœur... A la fin de chaque couplet, un très mélancolique et poignant alala modulé longuement, interminablement... — ou bien l’atruxa, cet étonnant cri sauvage, que j’ai entendu une fois déjà dans la nuit, le soir même de mon arrivée, ce cri qui se termine dans un ricanement...

Les voix sont belles, sonores, et leurs vibrations, dans cette salle pourtant vaste, semblent presque trop fortes. Le ton grave qu’elles gardent, et cette espèce de langueur poignante et profonde avec laquelle elles traînent sur chaque note, contrastent avec la naïve légèreté de l’accompagnement, les bondissements du tambour de basque, l’acide et dansante allégresse de la gaîta. Cette langueur-là c’est un peu la langueur du cantar flamenco. Mais elle n’a point ici de sensualité ; elle s’occupe peu des nerfs et va très loin dans l’âme. Et cette musique, ces chants racontent un peuple simple, facile à s’égayer, mais en qui sa recueille et sait se désoler une intense vie sentimentale.

Je les regarde, ces chanteurs qui viennent régulièrement ici, pour leur plaisir, et pour leur plaisir se donnent la peine d’apprendre tout cela. Il y a sur leurs visages, dans leur application, comme une espèce de ferveur... Eux aussi, ils m’observent, curieux de savoir comment je les juge et si je sais aimer l’âme de leur Galice à travers leurs chansons. Le moindre applaudissement les fait sourire tous avec une cordialité heureuse. Et quand j’essaye de leur dire mon plaisir, de les remercier, ils écoutent gravement, s’étant rapprochés, rangés autour de moi, avec leurs attentives, leurs pensives figures. Ma sincère émotion, sans doute, leur est agréable… Tout d’un coup, spontané, émouvant, saisissant, un cri monte :

Viva Francia !

Je réponds :

Viva España y viva Galicia !

Alors toutes les mains se tendent. Ce sont eux maintenant qui me remercient. De quoi ? Tout simplement, je crois, d’avoir cherché à les comprendre et d’y être un peu parvenue.