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de Russie, à l’instar de plusieurs autres souverains, boudait la monarchie de Juillet. Louis-Philippe s’alarmait de cet état de choses et cherchait à y remédier. Fortunée, à l’affût de tout ce qui se tramait aux Tuileries, apprend soudain que le Roi, pour améliorer ses relations avec le Tsar, tente tout d’abord de se concilier l’ambassadeur de Russie, Pozzo di Borgo. Comment s’y prend-il ? Par des voies obliques, en adulant judicieusement la maîtresse du dit ambassadeur. C’est en somme toute une savante combinaison. Pour gagner le potentat moscovite, on essaye en premier lieu de gagner son représentant à Paris et l’on espère agir efficacement sur ce dernier en s’employant auprès de celle qui est toute-puissante sur son cœur.

Cette histoire est-elle vraie ? C’est Fortunée Hamelin qui la raconte.

« En Sicile, écrit-elle, il existait en 1809 ou 1810 un magasin de modes tenu par deux Françaises, nées à Lyon. Ces demoiselles se prétendaient filles d’un émigré et elles firent bien, puisque cela inspira à Caroline [1] beaucoup d’intérêt pour elles. Un Anglais passablement riche, M. Greham, était amoureux de la cadette. Mme Dolomieux et la princesse P... se mirent en tête de la lui faire épouser. Mme la duchesse d’Orléans [2] entra dans cette innocente captation et le mariage se fit.

« A la Restauration, la petite Pauline Greham s’établit en France et y fut très appuyée par la famille d’Orléans. Elle est devenue la maîtresse de l’ambassadeur de Russie Pozzo. Cette liaison prend tous les ans plus d’empire sur lui. Il y passe sa vie et tombe dans le plus violent désespoir à toutes les infidélités. Cependant la cour a ramassé ce moyen de crédit. La petite Greham est dans la plus haute faveur et traite de tout. Elle donne moins de chagrin à Pozzo et ne le quille plus. Elle proclame hautement ce que lui doit la France. Elle acquitte noblement, dit-elle, l’hospitalité de Sicile. Enfin, c’est une jactance complète, mais qui, au fond, a beaucoup de vrai. A tout âge, les hommes sont influencés par leurs maitresses, mais à celui de Pozzo, on est dominé. Connaît-on bien cette affaire en Russie ? Elle est importante. »

  1. Il s’agit ici de Marie-Caroline, reine de Naples. Chassée de ses États, en 1805, par l’invasion française, elle s’était réfugiée à Palerme.
  2. Marie-Amélie de Bourbon, fille de la précédente et qui épousa, en 1809, Louis-Philippe, duc d’Orléans, le futur roi des Français.