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Délos. Il est quatre heures du matin. Le soleil se lève derrière le Cynthe, — la montagne d’Apollon. La mer a ce frissonnement léger qui annonce les premiers souffles et la fraîcheur de l’aube. On devine que l’eau est toute rose et qu’elle est extraordinairement transparente autour des écueils, noirs comme des morceaux d’ébène... Nous approchons. Voici les ruines immenses de la Cité sainte, le lac sacré, l’avenue des lions, les colonnes des palais et des sanctuaires... Voici Naxos, émergeant d’une mer glauque et triste. Au sommet d’un promontoire, le péristyle rompu du temple de Dionysos s’ouvre comme une porte triomphale sur un ciel bouleversé de nuages, tel un champ de bataille mythologique... Et voici enfin la grande île divine de Zeus, la Crète aux cent villes, le massif neigeux de l’Ida, le Labyrinthe et le palais de Minos, le taureau de Pasiphaé, les temples de Cnossos, de Phaestos et de Gortyne...

Pour commenter ces images, il y a d’abord une éclatante préface de M. Gustave Fougères, l’ancien directeur de notre Ecole d’Athènes, Français d’Hellade, de longue date acclimaté et naturalisé dans le pays, érudit, écrivain coloré et enthousiaste, qui célèbre en termes lyriques une terre, qu’il a d’abord connue et fouillée minutieusement en archéologue ; — puis un récit non moins coloré, un journal de croisière plein de bonne humeur et de bonhomie, alerte et entraînant, qui est signé de M. Daniel Baud-Bovy, un des écrivains suisses qui font le plus d’honneur à la langue française. M. Baud-Bovy, Genevois de vieille souche, se pique d’être l’homme de sa ville et de son terroir. Son récit contient nombre d’allusions aux choses et aux gens de sa petite patrie, des réminiscences de son paysage natal, de ses lacs et de ses montagnes alpestres, de ses rivages rhodaniens. Et, dans la trame d’un français excellent, d’une solidité et d’une pureté toutes classiques, il excelle à insérer des locutions, des tours de phrases d’une provenance purement locale et qui ont, comme on dit, le bouquet du cru. Il écrit couramment : « un ciel grimaud, » ou bien « au jour fermant, » ou encore « le jour se ferme, » — et il sied de l’en féliciter. Cet apport régional enrichit la langue commune, recule les limites de son empire. Pourquoi nos écrivains d’aujourd’hui n’imiteraient-ils point ceux de la Grèce classique ou ceux de notre Renaissance et des premières années de notre XVIIe siècle, —