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telle manière que l’Allemagne ne puisse croire qu’il lui est loisible de recommencer la terrible expérience qu’elle n’a pu réaliser en 1914. Elle a besoin d’ententes et d’alliances.

Aujourd’hui il ne peut plus, de longtemps, être question d’alliance russe. Certes, le peuple russe finira par sortir du chaos tragique où l’a plongé le bolchévisme déchaîné par les intrigues allemandes. Mais les privations, la misère et la terreur y ont tellement détendu tous les ressorts moraux que cette remise en ordre, dont on ne peut prévoir quand elle commencera, durera certainement très longtemps.

La Russie en outre, dans son bouleversement, a été amputée de nombreux territoires habités par des nationalités allogènes.

Au Sud-Est, c’est le Caucase tout entier. A l’Ouest, ce sont les pays baltiques (Finlande, Esthonie, Latvie, Lithuanie) et la Pologne, sans parler de la Bessarabie passée à la Roumanie.

Ces Etats nouveaux ou revenus à la vie, serviront logiquement de base à l’action européenne qui aidera à la renaissance de la Russie. Cette action doit en effet, matériellement, transiter par eux. Leur ancienne participation à la vie russe fait qu’ils possèdent un nombreux personnel de techniciens, d’administrateurs, de commerçants, d’industriels, connaissant la langue, la mentalité, les habitudes du peuple russe ; la coopération de ce personnel est d’autant plus indispensable que les classes russes éclairées ont été particulièrement décimées par l’action révolutionnaire.

Nous ne pouvons pas, en raison des gros intérêts que nous avons en Russie, abandonner à nos ennemis, ni même à nos alliés, l’œuvre de la rénovation inéluctable de ce pays sans léser gravement nos intérêts moraux comme nos intérêts matériels.

Les pays baltiques ne sont pas pour la plupart immédiatement intéressés à une lutte éventuelle contre un pangermanisme redevenant menaçant.

Seule, la Lithuanie doit dès maintenant craindre une action allemande qui offre un intérêt immédiat : rouvrir le contact direct entre la Prusse et la Russie. La Lithuanie a d’ailleurs déjà subi une forte emprise politique et économique allemande accompagnée de fournitures plus ou moins occultes de matériel de guerre et de l’envoi d’instructeurs militaires camouflés, tandis que des intrigues, adroitement menées, attisent les esprits en prévision d’un conflit lithuano-polonais possible.