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congréganistes français ? Pour assurer le fonctionnement de cette œuvre admirable, qu’on appelle Near East Relief, les Américains ont largement utilisé l’expérience de leurs missionnaires de Syrie, de Mésopotamie et d’Arménie ; on s’étonne que nous n’ayons pas eu l’idée d’en faire autant. Le premier soin de nos religieux, lorsqu’ils rentrèrent à Constantinople après l’armistice, fut d’y réorganiser leurs œuvres d’assistance : asiles, hôpitaux, dispensaires. Quelques-unes d’entre elles avaient fonctionné clandestinement pendant toute la guerre : j’ai retrouvé au couvent de Saint-Benoît un vieux lazariste qui, ayant échappé aux mesures d’expulsion, avait ouvert dans une échoppe de Galata une « cuisine populaire « et contribua pendant trois ans, par des moyens de fortune, trouvés au jour le jour, à soulager la misère de tout un quartier. Quels résultats n’auraient pas obtenus ces professionnels de la charité en Orient, Lazaristes, Jésuites, Filles de la Charité, Petites Sœurs des Pauvres, et tant d’autres encore, si l’on avait mis à leur disposition les ressources éparpillées entre tant de comités tapageurs et malhabiles !

A un diplomate étranger, qui lui demandait à quoi il occupait ses loisirs, le prince héritier de Turquie, Abdul-Medjid Effendi, dont le palais reflète sa longue façade blanche dans les eaux du Bosphore, répondit en souriant : « Quand je m’ennuie, je braque ma lunette à une fenêtre et j’observe ce qui se passe sur vos bateaux de guerre. Le spectacle est peu varié, mais agréable : on y danse toujours. » Le diplomate s’empressa d’observer qu’on y dansait le plus souvent par charité. L’impression produite sur un simple curieux, comme j’étais, par cette succession ininterrompue de réjouissances diplomatiques, militaires et navales, étalées aux yeux d’un peuple malheureux et souvent affamé, était franchement déplaisante. La meilleure excuse de tous ces organisateurs de fêtes, c’est qu’ils ne soupçonnaient que très vaguement la misère qui les environnait.

En quelques années, l’alcoolisme a fait, parmi la population indigène, des progrès dont j’ai pu constater l’effrayant résultat en visitant les hôpitaux et les asiles d’aliénés. L’alcool américain arrivait à Constantinople en quantité si énorme, que les exportateurs des Etats-Unis se sont avisés d’en faire transiter une partie par Rotterdam : le poison est vendu comme marchandise hollandaise et, si l’effet produit est le même, les