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mouvement nationaliste déclenche par Moustapha Kemal, ceux qui le purent passèrent en Anatolie : ils y furent diversement accueillis, suivant leurs précédents et leurs tendances. Moustapha Kemal avait toujours été l’adversaire de l’Union et Progrès. Toutefois, il ne pouvait refuser le concours de ces officiers, de ces hommes qui accouraient sous ses drapeaux, se proclamaient nationalistes et demandaient à le prouver. De nombreux Unionistes se battent dans l’armée de Kemal ; quelques-uns, — une dizaine environ, — ont été envoyés à la Grande Assemblée, où, jusqu’à présent, ils semblent exercer peu d’influence ; enfin, on en trouve dans les « à côté « de la politique, dans les organisations de propagande, dans les journaux d’Angora. Mais je suis convaincu, pour ma part, que si Djemal, Enver, ou tel autre des anciens chefs du parti voulait entrer demain en Anatolie, il trouverait porte close.

« La plupart des Unionistes sont aujourd’hui nationalistes. Mais, dans le mouvement d’Anatolie, ils constituent un élément de médiocre importance. D’autre part, cette diversité d’origine et de tendances que je vous rappelais tout à l’heure, et que les événements n’ont pas atténuée, est pour eux une cause de faiblesse et une occasion de malentendus. Ainsi vous entendrez soutenir ici, dans certains milieux, que l’Union et Progrès fait à Angora le jeu des bolchévistes russes, à qui les juifs servent d’intermédiaires. Cela est vrai de quelques fanatiques et de quelques aventuriers qui, ayant trouvé refuge en Anatolie, y vivent des subsides de Moscou comme ils vivaient naguère à Constantinople des subsides de Berlin, mais on ne saurait sans injustice impliquer tout le parti de l’Union dans la folie du bolchévisme ou dans l’ignominie de la trahison.

« La vérité est que, entre les directions préconisées par les Unionistes et celles dont s’inspirent les chefs du gouvernement d’Angora, il y a des différences profondes. Les Unionistes se sont faits les apôtres d’une politique d’action. » Si la Turquie reste passive, — ainsi raisonnent-ils, — elle sera dévorée. Or, elle n’a que deux moyens d’agir : ou marcher carrément avec les Anglais, ou marcher carrément avec les bolchévistes. » Au fond de leur cœur, ils ne souhaitent point que la Turquie s’engage dans la première voie, qui ne les ramènerait certainement pas au pouvoir. La seconde semble ouvrir des perspectives plus favorables à leurs desseins politiques et à leur ambition.