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Nous connaissions le péril auquel nous nous étions voués avec une liberté qui ne se révélait qu’à nous-mêmes par quelque sourire furtif. Nous savions que notre entreprise était désespérée et nous n’avions aucun désir d’échapper à notre beau destin.

Dans les derniers jours, les figures de notre existence se dessinaient, grandies, sur le sombre horizon marin. La mélancolie énergique de l’adieu augmentait le prix de chaque heure écoulée.


Le couple viril, le couple de bataille, ressuscité par la création de l’aile humaine, pilote et combattant, arme de hauteur, arme céleste, maniée par une seule volonté, comme la double lance du jeune Grec.

Le compagnon, c’est le compagnon.

Il n’est pas aujourd’hui de plus noble lien que ce pacte tacite qui fait de deux vies et de deux ailes une seule rapidité, une seule prouesse, une seule mort.

Le plus secret frisson de l’amour inexprimé ne vaut pas certains regards qui, aux heures légères, raffermissent entre les deux compagnons la fidélité à l’idée, la gravité de la résolution, le sacrifice muet du lendemain.

Or la mort qui devait prendre les deux n’en prit qu’un, un seul, contre le pacte, contre l’offrande, contre la justice, contre la gloire.

A la cime de la gloire, pour le couple ailé, il y a l’holocauste : le sacrifice dans lequel se consume toute la victime.

Le destin du feu est leur vrai destin.

Leur aile grondante devient leur bûcher flamboyant.

Comme dans la huitième bouge dantesque, ils sont deux « au milieu d’un seul feu, » mais le feu n’est pas divisé. Ils ne parlèrent point là-haut ; ils n’eurent pas besoin de l’oraison brève pour être hardis ; et ils ne parlèrent point dans les croulements de la flamme.

De même que le vol était un silence bleu mesuré par le chant rythmique de la combustion, ainsi l’holocauste se résout en un noir silence.

La nécessité héroïque pour le couple ailé, quand il est vaincu, c’est la destruction totale par le feu.

De celui qui se rend prisonnier et livre son aile, on peut dire en vérité qu’il pèche contre la patrie, contre l’âme et contre