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mais Moscou est de connivence avec Berlin. Revenons de quelques années en arrière. En mai 1917, la prise de Bagdad par les Anglais arrête la poussée allemande dans sa marche vers l’Asie Centrale par la Mésopotamie. Cette voie étant coupée, Ludendorff en choisit aussitôt une autre : celle qui passe par l’Anatolie, l’Arménie, la Géorgie, le Nord de la Perse et le Turkestan. Cette voie n’a pas été choisie au hasard : elle parcourt, en sens inverse, la ligne jadis suivie par l’invasion turque qui, venant du plateau de Pamir, envahit d’abord les plaines du Turkestan, puis traversa la Perse septentrionale, remonta par l’Azerbaïdjan sur la rive occidentale de la Caspienne, pour se répandre finalement à travers l’Anatolie. Les Allemands n’ignoraient point que partout sur leur passage les Turcs avaient laissé des colonies de leur race, qui n’ont jamais abandonné ces régions, pas plus qu’elles n’ont oublié leurs origines. Le plan de l’Etat-major allemand est simple et bien conçu : s’appuyer, pour la marche vers l’Est, sur tous ces éléments de race turque qui, unis entre eux, constitueront une force redoutable. Si l’Allemagne réussit à armer, puis à organiser les populations échelonnées entre l’Anatolie et la Caspienne, rien n’arrêtera plus ses progrès vers l’Asie Centrale. » C’est de l’expérience que les Turcs feront avec nous, — écrivait Paul Rohrbach en 1915, — que dépendront dans la suite notre prestige et notre succès auprès des autres peuples orientaux : les Persans, les Afghans, les Hindous musulmans, et même les Arabes et les Egyptiens [1]. »

Ludendorff a exposé lui-même dans ses Souvenirs de Guerre l’effort politique et administratif accompli, sur son ordre, par les officiers allemands dans les pays du Caucase. Après l’armistice de 1918, le plan de l’Etat-major garde toute sa valeur, et la réalisation s’en poursuit d’autant plus aisément que personne n’a songé à expulser de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et du Transcaucase les agents allemands chargés de l’exécuter. A la fin de 1918, nous trouvons à Batoum, aux côtés de Nouri Pacha, frère d’Enver, et de Chevfik, commandant de la IXe armée turque, des officiers de la division allemande qui avait débarqué à Poli au mois de mai pour protéger la Géorgie [2]. En 1919, ces mêmes officiers travaillent en étroit accord avec

  1. Voyez un article très intéressant du commandant Poidebard, dans la Revue des Études maritimes, 1920.
  2. P. Rohrbach, Unsere Koloniale Zukunflurbeit, p. 62.