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paradoxes de Gautier étonnaient jadis : que sont-ils auprès de ceux-ci !

Je ne sais pourquoi ce génie jésuitique de Renan, ces phrases insidieuses à réticences, ce Sainte-Beuve qui fait des sermons, évoque toujours à ma mémoire Tartuffe. Il caresse si doucement le cœur de sa lectrice !

Mais comme elle repose des brutalités du journal, des aménités de la politique, cette souriante hypocrisie des sceptiques ! Et que nous chérissons tout cela !

Dans vingt ans, nous tendrons les bras à quelque catholicisme un peu modifié (5 novembre 1884).


À trois années de là, M. Maurice Barrès publiait dans une revue, puis en brochure, un article qui devait faire plus pour porter son nom au grand public que toutes ses tentatives antérieures. Ce « dialogue parisien, » probablement inspiré de l’article qui avait, du jour au lendemain, rendu célèbre Jules Lemaître[1], était intitulé Huit jours chez M. Renan. C’était une fantaisie de haut goût, où les attitudes, les petites manies, les propos familiers de Renan étaient évoqués avec un art, un don du pastiche, un sens du comique, une ironie supérieure qui firent la joie des « lettrés délicats et prudents. » On ne pouvait nier que tous ces traits, dont quelques-uns sont restés fameux, portaient : « Cet après-midi, quand je fus introduit dans le cabinet de M. Renan, l’illustre académicien sommeillait légèrement sur d’antiques grimoires. Avec une parfaite aisance, il se réveilla, sans secousse, comme un sage qui est accoutumé de passer du rêve aux affaires. Et déjà il m’approuvait. » L’auteur de la Vie de Jésus n’approuva pas d’ailleurs cette innocente plaisanterie, et il eut la faiblesse de s’en plaindre aux Bretons du Dîner celtique. Ces plaintes eurent pour résultat

  1. Les Taches d’encre de janvier 1885 (p. 47) engageaient leurs lecteurs à « lire la curieuse étude de Jules Lemaitre sur Renan dans la Revue politique et littéraire. » La brochure Huit jours chez M. Renan a paru chez Dupret, au début de mars 1888. Elle était la reproduction, avec quelques variantes, d’un article de la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg intitulé A l’ermitage de Renan (février 1888). Elle a été remaniée dans les éditions successives. Par exemple, dans l’invocation de Renan à ses anciens maîtres de Saint-Sulpice, M. Barrès a supprimé un curieux paragraphe (p. 31-32) : « Voyez ceux que je vous amenai, France, Bourget. Fouquier, Lemaitre, pour citer quelques noms profanes qui vous sont parvenus. Ils respectent vos caractères, ils aiment vos rêves, ils serviront votre mémoire. Par moi, des jeunes gens pleurent le soir en pesant votre destinée. Et combien, derrière eux, qui n’ont pas ce vain talent de mettre leurs pensées dans des mots, mais qui ont reçu de mes mains des âmes dont le parfum vous serait agréable ! »