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tant que « le problème allemand, » — autrement dit le problème alsacien-lorrain, — ne serait pas résolu. Et c’est ce dont M. Barrès n’allait pas tarder à s’apercevoir à son tour.

En attendant, il poursuivait son œuvre littéraire, et, sous une forme tantôt romanesque, tantôt didactique, il multipliait ou il s’efforçait de justifier ses expériences psychologiques. Il publiait l’Ennemi des Lois, « délicieux petit livre, » déclarait Jules Lemaitre. « Il ne m’a pas seulement plu, ajoutait-il, par le tour nerveux et subtil, propre à M. Barrès, par les frémissements voluptueux et courts d’une sensibilité surveillée et d’autant plus fine : mais j’y ai vu le commencement de la banqueroute heureuse, et consentie par l’auteur, de son dilettantisme. « Et Jules Lemaitre avait sans doute raison. Mais le livre devait être quelque peu obscur, car Émile Faguet, de son côté, y voyait tout autre chose, « une petite fantaisie anarchiste. » Et peut-être ces deux interprétations contradictoires étaient-elles toutes deux légitimes.

La vérité était sans doute celle-ci, et il me semble qu’elle apparaît avec une croissante netteté dans ces trois livrets successifs qui s’intitulent : Trois stations de psychothérapie ; le Culte du Moi : examen des trois idéologies ; Toute licence, sauf contre l’amour. L’auteur de ces pages tourmentées reste bien l’un de ces « jeunes gens en qui les torrents de la métaphysique allemande ont brisé les compartiments latins, » mais, en même temps, il aspire à retrouver la tradition romaine. Il est tout à la fois épris et détaché de son moi. Féru d’individualisme, au point de tout ignorer du monde extérieur, il en vient à admettre ce qui est la négation même de l’individualisme, à savoir le catholicisme. » À notre cosmopolitisme, écrira-t-il, à notre dilettantisme, à notre cher nihilisme enfin, pour dire le mot qui résume le mieux notre déracinement moral, la grande ville catholique restitue leur sens complet, en même temps qu’elle leur donne une haute allure. À sa lueur, nos dégoûts et notre ardeur m’apparaissent ce qu’ils sont en réalité, un sentiment religieux. » Et encore : « Le catholicisme ! Voilà où tendent et s’expliquent tous les mouvements de notre cœur, qui n’est obscur et mal à l’aise que pour avoir accueilli les fièvres de cinq ou six peuples. C’est tiraillé par elles que le cosmopolite, toujours incomplètement satisfait, erre à travers l’Europe ; il les satisferait dans la capitale où convergent toutes les nations. »