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de quelques applications inédites. Mais surtout d’originales notations pittoresques y sont revêtues d’une forme si attachante que le lecteur le plus inattentif se sent ici en présence d’un maître incontestable « Tel paysage du Jardin de Bérénice, d’un trait rapide et d’une perspective infinie, est inoubliable, » disait déjà Anatole France. Et peut-être songeait-il à celui-ci :


A Aigues-Mortes, l’atmosphère chargée d’eau laisse se détacher les objets avec une prodigieuse netteté et leur donne ces colorations tendres qu’on ne retrouve qu’à Venise et en Hollande. Devant nous se découpait le carré intact des hautes murailles crénelées, coupées de tours et se développant sur deux kilomètres. Au pied de cette masse rude, campée dans l’immensité, jouaient des enfants pareils à des petites bêtes chétives et malignes. Mais mon regard détourné se fondait au loin sur la plaine profonde et ses immenses étangs d’un silence éternel et si doux ! [1]


Et voici maintenant, dans Du Sang, le puissant portrait de l’ardente Tolède :


Tolède sur sa côte, et tenant à ses pieds le demi-cercle jaunâtre du Tage, a la couleur, la rudesse, la fière misère de la sierra où elle campe et dont les fortes articulations donnent, dès l’abord, une impression d’énergie et de passion. C’est moins une ville, chose bruissante et pliée sur les commodités de la vie, qu’un lieu significatif pour l’âme. Sous une lumière crue qui donne à chaque arête de ses ruines une vigueur, une netteté par quoi se sentent affermis les caractères les plus mous, elle est en même temps mystérieuse, avec sa cathédrale tendue vers le ciel, ses alcazars et ses palais qui ne prennent vue que sur leurs invisibles patios.

Ainsi secrète et inflexible, dans cet âpre pays surchauffé, Tolède apparaît comme une image de l’exaltation dans la solitude, un cri dans le désert.


Et puis, c’est Ravenne :


Ravenne, tout chargé de siècles, lourd vaisseau échoué aux sables de V Adriatiqîte avec son chargement de Byzance.


Et Pise :


Cette douce Pise n’a que peu de choses à montrer, mais exquises. Elle les présente avec une complaisance charmante, sur sa petite

  1. Le Jardin de Bérénice, éd. originale, Perrin, p. 68-69. — Cf. encore p. 64, 96-91 : 117, 118. 119.