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Tous les jours que Dieu fait, trouver un sujet, — et un titre, — d’article, qui pique la curiosité et retienne l’attention ; être perpétuellement en garde contre les mille écueils et les faciles tentations de la banalité envahissante ; et quand l’article est fini, rêver sans rémission à l’article du lendemain : c’est à ce prix que s’achètent, — plus chèrement qu’on ne pense, — la réputation et l’autorité d’un grand journaliste. À ces difficultés d’ordre général s’ajoutaient, pendant la guerre, des difficultés particulières dont il importe de tenir compte : il s’agissait, parmi les pires angoisses publiques ou privées, de conserver intacte sa liberté d’esprit, de soutenir la confiance sans cesser d’être véridique, de ne pas écrire une ligne qui n’eût pour objet de maintenir et de fortifier l’union sacrée entre tous les citoyens, et qui n’allât à créer l’atmosphère morale d’où devait sortir la victoire, de rester chaleureux et grave sans tomber dans la déclamation et dans la monotonie fastidieuse. Jamais il n’a été plus malaisé, — ni plus nécessaire, — de bien remplir, durant ces longues années tragiques, le noble « ministère de la parole. »

Ce ministère, l’un des plus beaux qu’il y ait au monde, — « servir de lien entre les esprits et les âmes, » — M. Maurice Barrès l’a si magistralement rempli, que les mille ou douze cents articles qu’il a écrits pendant la guerre ont pu résister à l’épreuve décisive des productions éphémères, je veux dire la publication en volume[1]. Évidemment, nos arrière-neveux, qui n’auront pas, comme nous, vécu ces années douloureuses, n’éprouveront pas, à en feuilleter l’abondante « chronique, » les sentiments, encore tout palpitants, qui nous animent nous-mêmes : il semble pourtant que ce « papier journal » de nos émotions collectives ne les laissera pas indifférents, et qu’ils sauront bien en percevoir le permanent intérêt.

Intérêt littéraire d’abord. Certes, parmi ces innombrables articles, il en est beaucoup qui, par leur sujet même, ne se prêtent guère aux grandes envolées de style. il est difficile, avouons-le, d’être très éloquent, quand on se propose de nous

  1. La majeure partie des articles de M. Barrès ont été recueillis en une série de volumes auxquels il a donné pour titre collectif l’Ame française et la Guerre (Émile-Paul, 1915-1919. Une autre édition à tirage limité a commencé à paraître à la librairie Plon sous le titre de Chronique de la Grande Guerre. À cette série se rattache directement le beau volume intitulé les Familles spirituelles de la France (Émile-Paul).