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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/214

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temps, des gens très bien élevés. Les plus modestes familles de Stamboul ne permettaient à leurs enfants aucun contact avec les enfants juifs, grecs ou arméniens. Puis les Turcs de Salonique sont arrivés ici, ceux de Thrace ; ils avaient perdu beaucoup de nos anciennes traditions, et ils ont contribué à nous les faire perdre et nous-mêmes... »

Les traditions et les mœurs, établies en grande partie sur la religion, empêcheront peut-être encore longtemps les Turcs de s’occidentaliser ; mais occidentalisme est-il exactement synonyme de civilisation et de culture, et ne pouvons-nous pas concevoir qu’un peuple oriental progresse, se civilise, élargisse son horizon, sans adopter des coutumes, ou même des idées, contraires à son tempérament, à ses croyances, au génie propre de sa race ? Je crois, pour ma part, que les prescriptions de l’Islam, et surtout l’interprétation un peu étroite et rigide que continuent d’en faire, à l’usage du peuple turc, les personnages religieux les plus influents, rendra certains progrès plus difficiles et plus lents. Mais le nombre des esprits qui, sans nullement renier la foi des ancêtres, cherchent à l’accorder avec les tendances de la vie moderne, augmente chaque jour ; et en réfléchissant sur cette prétendue antinomie entre l’Islam et le progrès, que l’Occident semble avoir subitement découverte, je me suis quelquefois rappelé l’explication qu’Hakil Muktar Bey, bon savant et bon musulman, m’avait donné de ce verset du Coran : « Toute vérité scientifique est aussi une vérité religieuse. » On peut attendre beaucoup d’une religion qui reconnaît et proclame cette identité.


SOLIDARITÉ ET CHARITÉ MUSULMANES

En dressant naguère la liste des œuvres créées et multipliées à travers tout l’Orient par le merveilleux effort de la France, j’observais que, si nos universités, nos collèges et nos écoles avaient vivement frappé l’esprit des Orientaux, nos hôpitaux, nos dispensaires, nos asiles d’enfants et de vieillards avaient plus directement encore touché et gagné leur cœur [1]. Les musulmans, en particulier, m’avaient paru mesurer le degré de civilisation d’un peuple étranger, moins encore à la perfection

  1. M. Pernot, Rapport sur un voyage d’étude à Constantinople. en Egypte et en Turquie d’Asie (Paris, Firmin-Didot, 1913), p. 280 et suiv.