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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/434

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voix humaine, toujours une femme se lève et chante dans l’espace ouvert.

J’ai fait réserver quelques pieds de charmes en lisière du taillis, déjà respectés par mon père, quand les grands hêtres furent mis à bas. Là, souvent, sa journée de maître terminée, un de mes grands-oncles venait s’asseoir au soleil couchant, sur un banc de gazon.

Il avait perdu sa femme, perdu ses fils, il achevait la vie seul, et c’était l’heure où il pensait à eux, au moment où la nuit va venir. L’horizon, de cette place, est immense. Comme animées d’un mouvement de glissement, de contrée en contrée, les terres ont l’air de couler jusqu’aux Pyrénées qui occupent le fond lointain du pays. Frappées d’éclat de lumière sur les reliefs, zébrées de lignes d’ombre dans les ravins, étincelantes de neige rose ou pourpre jusqu’à fleur d’aiguilles, elles siègent d’une mer à l’autre, de la Méditerranée à l’Atlantique, avec leurs pics, leurs caps, leurs tours, leurs ports et leurs puys, le Néthou, la Maladetta, le Perdu, le Mordang, l’Ossau, l’Urdos, à 2 500, 3 000, 3 400 et 500 mètres d’altitude, et trouent ou entaillent à vif le bord bruni du ciel. Et des féeries jouent sur elles, à chaque déplacement de l’astre qui s’abîme. Le spectacle est mouvant, magnifique et serein. Empli de ses souvenirs, le vieillard assistait à la chute du jour. Il entendait fuir le bruit et gagner le silence. Un char roulait sur la route, un taureau mugissait au bord du pré, un métayer hélait son pâtre ; ou c’était le cri des femmes appelant la volaille, l’aboi d’un chien au flanc d’un troupeau de brebis, le ululement du premier hibou, le dernier soupir de la brise, et puis, tout à coup, quand les feuilles même se taisaient, le carillon argentin de l’Angelus joyeusement égrené dans le crépuscule. Cela seul apaisait son cœur douloureux, cette communion avec la terre des aïeux. Et lorsque son frère ou son neveu, venu le visiter, le surprenait immobile, perdu dans cette vue et dans ces harmonies rustiques, il mettait un doigt sur ses lèvres et murmurait : « Écoute, comme c’est beau !… »


Joseph de Pesquidoux.