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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/440

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cela est indiscutable. Je n’en veux pour preuve que l’ambition quelquefois démesurée avec laquelle ils recherchent les questions vastes, immenses. Mes élèves, si on les laissait faire, rêveraient tous d’écrire l’histoire d’un genre littéraire, des origines à la fin !

Tout un ensemble de tendances, librement ou gauchement manifestées, rapprochent Américains et Français et fait que ceux-là sont tout prêts à s’entendre avec ceux-ci. J’en ai l’impression très nette en observant les auditeurs de mes cours. Lorsque j’expose les méthodes françaises, je sens chez mes étudiants cette joie de l’homme qui aurait longtemps cherché la solution d’un problème et qui l’entendrait énoncer tout à coup. Ce n’est pas là seulement le plaisir d’une curiosité satisfaite ; c’est la réponse d’instincts profonds qui cherchent à se libérer à mon appel. Ces jeunes gens font la découverte d’eux-mêmes. Arrivés à un carrefour, les Américains se sont trompés de route, et pendant un long demi-siècle ils ont tourné le dos à l’horizon intellectuel vers lequel les portaient toutes leurs aspirations.

Nous avons notre part de responsabilité dans cette erreur de l’Amérique. Pendant que l’Allemagne se parait de tous ses charmes pour séduire ces clients, nous nous enfermions dans une maussade hauteur. J’ai recueilli de nombreuses confidences qui donnent à réfléchir.

Regrettable malentendu ! Regrettable pour notre pays qui a perdu pendant longtemps l’amitié spirituelle d’une grande nation qui ne demandait qu’à s’appuyer sur nous. Regrettable aussi pour les Américains, car, à l’école de l’Allemagne, ils ont refoulé en eux des qualités naturelles qui luttaient pour s’exprimer. Peuple idéaliste, ils se sont vu infliger des leçons de matérialisme ; affamés de savoir, ils ont rétréci leurs ambitions en apprenant à mettre la technique avant la science pure, la philologie avant la littérature, les faits avant les idées, les classifications avant les généralisations. Tout ce qu’ils cherchaient, nous pouvions précisément le leur offrir, et ils auraient en plus trouvé chez nous de quoi combler certaines lacunes de leur civilisation. Que n’auraient-ils pas accompli, s’ils avaient en partie liée avec nous ? Mais il n’y a rien d’irrémédiable ici-bas. Peut-être qu’une ère nouvelle s’ouvre pour l’esprit américain. Miss Amy Lowell, l’une des meilleures poétesses d’aujourd’hui, dans un livre récent, annonce que les États-Unis entrent dans un