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Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/489

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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

L’Émir l’emmenait à la chasse au faucon, et le reste du temps le promenait dans ses jardins et ses palais où le jeune chrétien admirait toutes choses avec un entrain inépuisable.

Les jardins de Qalaat étaient réputés parmi les plus beaux de la Syrie, dans un temps où les Arabes excellaient dans l’art d’exprimer avec de l’eau et des fleurs leurs rêveries indéfinies d’amour et de religion. On y voyait les fameuses roses de Tripoli, qui ont le cœur jaune, et celles d’Alexandrie, qui ont le cœur bleu. Au milieu de pelouses parfumées de lis, de cassis, de narcisses et de violettes, rafraîchies par des ruisseaux dérivés de l’Oronte, et ombragées de cédrats, d’amandiers, d’orangers et de pêchers en plein vent, étaient dispersés de légers kiosques, tous ornés de soies d’Antioche et de Perse, de verreries arabes et de porcelaines chinoises. Mais rien n’approchait des magnificences accumulées dans la forteresse.

Au milieu de ces merveilles, le jeune chevalier-poète riait et chantait toute la journée, et l’Émir aimait à le faire passer sous les fenêtres des kiosques où se tenaient ses femmes, afin qu’elles eussent l’amusement de voir un si curieux personnage. Elles l’admiraient et se gardaient bien de le dire. Mais lui, au bout de quelques semaines, il éprouva un certain vide. Quelque chose manquait à ces délices. Ces divans de soie semblaient dans l’attente d’une présence qui les animât. Quand il traversait les jardins, il voyait sur le sable des empreintes très fines comme en laissent les gazelles, et des coussins parfumés épars sur les pelouses gardaient l’empreinte des corps charmants qui s’y étaient appuyés.

— Seigneur, c’est splendide, dit-il un matin à l’Émir, mais pour compléter ces magnificences, ne faudrait-il pas un peu de fraîcheur, le chant d’une flûte, un rire joyeux, des cris, des larmes, la vie ?

— Quelle musique veux-tu que mes musiciens te jouent et quel vin désires-tu que je te fasse verser ?

— Je pense à une ivresse qui s’acquiert sans vin ni musiciens. Nous n’avons pas vos richesses, mais, dames et chevaliers, nous nous réunissons parfois pour entendre des histoires de guerre et d’amour. Dernièrement on nous a récité le merveilleux enchantement de Tristan et d’Iseult, et nous nous réjouissions à regarder de jeunes visages émus par les mêmes sentiments qui nous troublaient.